A l’aune du Web3, de l’Internet des objets et de l’intelligence artificielle générative, le commerce évolue, mêlant la vraie vie à la réalité virtuelle. En observant comment les marques et enseignes mondiales s’emparent de ces technologies, l’Echangeur BNP Paribas Personal Finance nous projette dans le futur de la vente.
« Les marques doivent arrêter de parler de consommateur, un terme à abolir dans le Web3 » prévient Benoît Pagotto, cofondateur du studio RTFKT, sorte de fabricant de produits et expériences virtuels (racheté par Nike), cité par l’Echangeur BNP Paribas dans son rapport 2023 sur l’impact des nouvelles technologies sur le commerce et la consommation [1]. Il ne s’agit plus de vendre un produit, mais de construire un éco-système, une communauté, qui ne fera plus qu’un avec la marque.
La révolution en cours du Web3
Après le Web1, accessible en mode lecture uniquement, le Web2 qui a ajouté la production de contenu et vu émerger les plateformes de service et les réseaux sociaux, voici le Web3. Décentralisé, celui-ci contourne les Gafam et autres géants du numérique en s’appuyant sur une blockchain publique pour stocker les données. Grâce à celle-ci et aux NFTs (tokens non fongibles), il est possible de prouver son identité (y compris aux yeux des pouvoirs publics avec la SSI ou self sovereign identity), de tracer un produit (notamment avec le CIRPASS européen, qui veut appliquer un passeport digital sur chacun d’eux) ou de donner de la valeur à des objets numériques.
Dans le Web3, chaque utilisateur est donc en mesure de maîtriser ses données (de santé, de consommation…), donc de les monétiser, et de gérer ses objets en propriété. Du moins en théorie. Car tout le monde ne s’accorde pas sur l’avenir décentralisé du Web3, notamment parce que la plupart des projets sont financés par de gros fonds d’investissements.
Quoi qu’il en soit, cette économie en construction va impacter beaucoup de secteurs, dont le commerce.
La blockchain et les NFTs
Dans le Web3, les NFTs – collectible avatar, token pass, token gate… – sont des titres de propriété stockés dans un portefeuille – wallet – sur la blockchain. Ils sont uniques, indivisibles, identifiables, non interchangeables, mais cessibles ou louables, sans passer par des tiers. Parce qu’ils peuvent être associés à des fonctionnalités, leurs possibilités sont énormes, notamment pour le commerce : vente de biens immobiliers sans passer par une banque (on l’a vu aux États-Unis, au Luxembourg, en Estonie ou en Allemagne) via un ou plusieurs jetons façon SCI (société civile immobilière) ; programmes de fidélité, notamment lorsqu’ils reposent sur du cashback…
Absolute Labs, spécialiste du sujet, estime d’ailleurs que le CRM (Custom Relationship Management) va bientôt être remplacé par le WRM (Wallet Relationship Management) et l’analyse du contenu des portefeuilles cryptographiques.
La communauté, pilier du Web3
Mais il y a une condition pour percer sur le Web3 : il faut d’abord fédérer une communauté, « grâce à un bon storytelling », et s’appuyer sur elle pour avancer. Toujours selon Benoît Pagotto, dans le Web3, « la marque et la communauté ne font plus qu’un […]. »
En 2022, les initiatives Web3 des marques mondiales ont généré plus de 100 milliards de dollars de chiffre d’affaires. Certaines ont choisi de partir seules (Renault, Lacoste…), d’autres en s’appuyant sur des NFTs existantes (Wrangler x Deadfellaz, Gucci x Puma, Gap x Dogami, Clinique x NFP…). Il y a eu des réussites, mais aussi des flops : se lancer dans le Web3, précise l’Echangeur, impose d’accepter l’échec.
Renault a capitalisé sur sa voiture emblématique, la R5, pour créer une collection de NFTs dont la possession permettait de participer à des jeux pour obtenir une visite privée de l’atelier Renault à Flins, être invité au Salon Rétromobile ou à Roland-Garros, rencontrer les designers de la marque et découvrir en avant-première ses prototypes.
Avec son projet Under Water (UNDW3), Lacoste s’est servi de son emblème pour créer un univers à mi-chemin entre le monde physique et le monde numérique. L’avatar en forme de crocodile du NFT, utilisable comme photo de profil sur les réseaux, ouvre l’accès à des privilèges et à la création des futures collections.
En juillet 2022, les possesseurs des NFTs CloneX de Nike ont pu récupérer un autre NFT représentant un sweat à capuche virtuel, grâce auquel ils pouvaient recevoir le même sweat dans le monde réel. Nike a également lancé sa plateforme Web3, dotSWOOSH, qui veut « façonner un marché du futur […] accessible pour les curieux du Web3 afin de lancer des gammes de vêtements virtuels pour les avatars », a expliqué Ron Faris, responsable de Nike Virtual Studios. En s’appuyant sur la créativité de la communauté pour imaginer les futurs designs de ses (vrais) produits, souligne l’Echangeur, la marque pose les bases du « commerce direct-to-avatar ».
Des clients plus investis
Pour mieux fédérer la communauté, il faut lui céder le droit à l’image des collections NFTs, d’après l’Echangeur. Ainsi, les clients deviennent copropriétaires de la marque ou de l’enseigne. Des artistes comme Eminem et Snoop Dogg ont utilisé leurs NFTs BAYC (Bored Ape Yacht CLub) pour leur clip.
En France, Kalissa, marque de streetwear de luxe associée à la blockchain, a attiré le groupe LVMH avec son écosystème mêlant virtuel et réel. Chacun de ses vêtements a son double numérique sous forme de NFT, qui prouve son authenticité tout en offrant à son propriétaire différents avantages, comme la régénération à volonté du modèle physique et la possibilité de le porter dans le métavers. Kalissa va aussi créer un réseau social privé accessible aux seuls propriétaires de ses NFTs, une sorte de country club format Web3, commente l’Echangeur.
Si le Web3 en est à ses balbutiements, l’offre Tokengated Commerce de Shopify, plateforme qui réunit 4 millions de sites marchands et concentre 10 % du commerce international, pourrait le booster, qui permet de créer et de vendre des NFTs. Amazon a aussi annoncé le lancement courant avril 2023 d’une place de marché dédiée aux NFTs.
Le « in-vehicle commerce » : la révolution de l’industrie automobile
L’automobile, en pleine mutation, s’avère un autre moyen, pour les marques, d’atteindre les consommateurs quand ils sont conducteurs, en leur fournissant des services et produits. Dans le monde, la moitié des voitures neuves sont actuellement connectées. Quasi 100 % d’entre elles devraient l’être en 2030. Dès lors, le commerce embarqué, ou « in-vehicle commerce », aura émergé. Les paiements à bord des véhicules pèseront un milliard de dollars en 2023, contre moins de 100 millions en 2020.
Le futur du commerce, entre deux mondes
« La compression temporelle va impacter la consommation de demain », prévient l’Echangeur. Il semble en effet que les 3 milliards de gamers au monde aient tendance à perdre la notion du temps, qui passe plus vite en réalité virtuelle. Sachant qu’en 2026 (selon Gartner, société experte sur le sujet), 25 % de notre temps filera dans des écosystèmes immersifs ou métavers, que ce soit pour se former, étudier, socialiser, consommer ou se divertir, gare à « l’impasse de compression temporelle » ! Les moments dédiés à la consommation pourraient se réduire et c’est pourquoi le commerce ambiant, concept cher à l’Echangeur, va se développer.
Le commerce vocal
Grâce à l’intelligence artificielle et à la reconnaissance vocale, le commerce vocal pourrait enfin percer. Via son téléviseur, un supporteur de foot pourra bientôt commander en direct le maillot de son joueur préféré… ou la pizza de la pub.
Dans la cuisine, le smart frigo assurera une automatisation des courses alimentaires au regard des habitudes de chaque membre d’un foyer.
Dans la salle de bains, le miroir intelligent (L’Oréal, Baracoda…) scannera la peau de l’utilisateur et lui prescrira des produits cosmétiques qu’il pourra commander par la reconnaissance vocale ou via l’application mobile associée.
Dans les toilettes, la cuvette WC, qui est en train de se connecter à l’e-santé, surveillera les biomarqueurs présents dans l’urine pour délivrer ensuite des conseils nutritionnels, des recettes, des exercices physiques, voire informer le médecin. Dès lors, des partenariats peuvent être envisagés pour le commerce.
Le social commerce sans fil
En mode Web3, les réseaux sociaux sont des Decentralized Social Blockchain ou DeSo, qui misent sur la transparence, le respect de la vie privée et la monétisation des données personnelles (0xFrens, NYXSoulmate, Taki, Diaspora, xPortal…). A l’inverse, les réseaux sociaux du Web2 voient dans le Web3 un moyen de contrôler un peu plus leur audience…
Reste que le réseau social de 2030 sera d’une manière ou d’une autre associé aux technologies blockchain, ouvrant de nouvelles opportunités de monétisation et de social commerce pour les marques et les enseignes.
Le métavers, en construction
Le métavers fait parler de lui, mais il reste en construction. Attention : métavers ne veut pas dire casque de réalité virtuelle et vice versa. Il est multiple, quoi que la majorité des entreprises – dont Meta, Microsoft, Sony, Nvidia, Google, Baidu ou Tencent, mais aussi Ikea, Flipkart, Wayfair ou Nestlé – s’est regroupée sous l’égide du Metaverse Standards Forum afin de définir ses règles.
Gartner a prédit que d’ici 2026, 30 % des entreprises mondiales auront des activités dans le métavers et que 25 % des consommateurs y passeront plus d’une heure par jour. Pour Statista, en 2030, il constituera un marché de plus de 490 milliards de dollars dont 200 proviendront de l’e-commerce.
Il est fort probable, avance l’Echangeur, que les fondements des métavers de 2030 soient définis par l’univers du jeu vidéo, déjà investi par les marques du fait de son énorme audience. Difficile pour les métavers décentralisés (Decentraland, The SandBox, The Otherside, Createra Genesis Land, Avalon…) de rivaliser.
Reste qu’aujourd’hui le métavers est contraint dans ses usages et très enclavé, puisqu’il n’y a pas d’inter-opérabilité. Sans elle, son avenir risque de se cantonner au B2B et le commerce autour des avatars se limiter à l’univers du gaming.
Des avatars et des hommes
Dans les mondes virtuels immersifs, l’utilisateur est représenté par un avatar, clé du déploiement du commerce. Selon R/GA, 68 % des personnes qui détiennent un avatar expliquent qu’il les aide à exprimer leur personnalité et la partie d’eux-même qu’ils cachent dans la vie réelle. Ils sont même 55 % à avoir un lien affectif avec leur double numérique. Une autre étude, de GWI, a montré que grâce à leur avatar dans Fortnite et Roblox, les GenZ ont une autre personnalité sur ces plateformes.
L’avatar se doit d’avoir un style et une identité. Ce qu’il porte est un marqueur social et peut même influencer la vraie vie. L’Echangeur parle de « l’avatarisation du soi » des jeunes…
Si les consommateurs ont des avatars dans les métavers, les marques le doivent aussi, qui les représenteront. LVMH a choisi une ambassadrice virtuelle qui se prénomme Livi, Carrefour a opté pour un virtual human boosté avec l’intelligence artificielle ChatGPT, Marks & Spencers a lancé son influenceur virtuel…
L’Echangeur anticipe que, d’ici quelques années, l’identité digitale d’un consommateur passera par la gestion de plusieurs avatars, en fonction des activités (travail, gaming, rencontres, sport), qui deviendront de véritables marqueurs sociaux à l’instar de certaines collections NFTs.
Le magasin physique, collecteur de données
Entre le digital et le monde physique est apparu le phygital. Et voilà qu’avec le concept des métavers se profile, après le « online to offline », le « metaverse to online to offline », et inversement.
Avec l’omnicanalité, le magasin physique devient un centre de collecte de données et permet de suivre, analyser et comprendre le comportement des consommateurs, via des chariots intelligents qui les aident dans leur parcours d’achat tout en recueillant leurs données. Le pilotage du magasin s’automatise grâce à la montée en puissance de l’intelligence artificielle.
En parallèle, le digital média semble reprendre la main sur l’expérience client. Le magasin se transforme en média, laissant entrevoir un commerce qui mêle les mondes virtuels et réels. L’Echangeur cite Nvidia, créateur de contenu 3D qui importe les codes du gaming au sein du magasin physique, Graffiti qui permet de visualiser des contenus en réalité augmentée sur les produits en magasin via le smartphone, en scannant un QR Code, ARHT qui propose de créer des vitrines holographiques 3D.
Le magasin devient une passerelle pour le commerce omniverse, qui devra appréhender les codes du gaming et des métavers tout en gardant à l’esprit une logique d’efficience. Il va continuer sa transformation et se rapprocher des sites d’e-commerce dans son fonctionnement. Puis il basculera vers les mondes immersifs, prédit l’Echangeur.
Toutefois, le magasin de 2040 devra permettre aux consommateurs de se reconnecter au réel et d’avoir des liens sociaux. Il sera le hub des multiples dimensions de la consommation et du divertissement.
L’IA générative, prête à « prompter » le monde
6,5 milliards d’euros en 2022 : le retail, comme tous les secteurs, investit dans l’intelligence artificielle pour optimiser ses processus (logistique, encaissement, merchandising, expérience client…). Mais de nouvelles formes d’IA, dites créatives ou génératives, qui ne demandent pas de connaissances en codage, pourraient prendre la suite, garantissant plus de créativité.
Depuis sa mise en ligne, ChatGPT, a beaucoup fait parler, capable de générer sur demande textes et images. Il sait formuler une réponse concise à une question et une opinion nuancée sur un sujet même délicat. Avec ChatGPT, on peut discuter ! Il est capable de comprendre des requêtes complexes en langage naturel et de produire, en quelques secondes, du contenu, de l’analyse, du code… et, s’agissant de Dall-E, de (re)créer une image à partir d’un descriptif écrit (appelé « prompt »).
L’avènement de l’intelligence générative « ouvre un champ des possibles étourdissant dans le secteur du commerce », permettant par exemple :
→ de générer une image en quelques mots bien choisis (Midjourney, Stable Diffusion ou Dall-E), sachant que plus la demande est précise (texture, couleur, taille, style…), plus le rendu est proche de la requête,
→ d’accélérer la création et la conception de produits, facilitant la personnalisation en proposant une image sous n’importe quel angle, taille, arrière-plan tout en permettant n’importe quelle modification,
→ de modéliser des concept-store en intégrant les contraintes architecturales et le style,
→ de ré-agencer un intérieur – une salle de bains – en quelques mots et une photo, par exemple avec Interior.AI,
→ de concevoir des mises en situation de produits dans tous les décors possibles (Booth.AI) et de faciliter la création des catalogues en ligne,
→ d’aider au choix des produits à recommander aux clients en fonction de leur budget ou autres,
→ de créer des fiches produits qui, quand ChatGPT sera indexé sur les bases existantes de l’enseigne ou de la marques, le seront selon ses codes, son verbatim et son référenciel, en quelques clics.
Bientôt, les logiciels grand public et surtout professionnels, telle que la suite Office de Microsoft, intégreront les applications permettant l’utilisation de l’IA générative.
[1] Depuis 1997, l’Echangeur BNP Paribas Personal Finance identifie et analyse les tendances émergentes du commerce et accompagne dans leur transformation les marques et enseignes face aux enjeux de la consommation de demain.