La filière salle de bains entre dans une nouvelle ère. Après l’avènement du commerce en ligne et la montée en puissance des marques de distributeurs, voici venu le temps de la multispécialisation, qui pourrait entraîner une recomposition du paysage sanitaire en faveur des grands industriels.
En dévoilant ses premières collections de mobilier de salle de bains et de céramique, Hansgrohe a fait le buzz sur ISH 2023, devenant le symbole de cette stratégie de multispécialisation qui prend de l’ampleur dans l’industrie sanitaire. Car d’autres entreprises du secteur ont déjà élargi leur catalogue ou sont en train de le faire, ajoutant la céramique à la robinetterie, les produits derrière le mur aux produits devant le mur (et vice versa)… Ainsi en est-il des Grohe, Geberit, Inda/Samo, Roca, Arblu, et plus récemment Ramon Soler (en Espagne pour l’heure), VitrA, Duravit, Villeroy & Boch, Rak/Kludi… Et l’on en passe !
La multispécialisation ou l’impérieuse nécessité de croître
Les fabricants répondent-ils à une demande du négoce ? Pas vraiment. Indépendamment des partenariats qu’il noue traditionnellement, celui-ci a eu plutôt tendance, durant ces dernières années, à desserrer les liens qui l’attachent aux grandes marques multicanal en déployant les siennes, avec succès. Et si la prescription (projets), voire les consommateurs, sont intéressés par une offre globale en provenance d’une seule marque, il n’empêche : cette appropriation par les spécialistes de toutes les familles de produits est aussi la conséquence de l’impérieuse nécessité de croître des entreprises, même si elles s’en défendent. C’est donc ainsi qu’après le multicanal et le multisegment arrive le temps de la multispécialisation.
En réalité, avec la montée en gamme des MDD, qui survient presque naturellement, il devient compliqué pour les industriels de se différencier. Ils ne sont plus les seules marques référentes, y compris d’ailleurs sur le segment chantier, qui est un autre pôle de croissance pour les MDD. Depuis toujours, celles-ci vont chercher ce qui est plus haut pour l’amener plus bas. Les produits, de qualité et forcément moins chers, évoluent grâce à la bonne connaissance qu’a le négoce de ses clients, à l’intégration des fonctionnalités disponibles sur le marché et des design plébiscités, ainsi qu’aux relations de confiance tissées avec les fournisseurs, essentiellement français ou européens s’agissant de la distribution professionnelle. Et les crises récentes ont conforté celle-ci dans ses stratégies de marques propres, lesquelles lui ont permis des marges supérieures, de se protéger face aux politiques multicanal des fabricants historiques, de contenir les prix et d’offrir une meilleure disponibilité des produits.
Le négoce suivra-t-il les multispécialistes ? Sans doute. D’une part parce qu’il est favorable à une concentration du nombre de ses fournisseurs, d’autre part parce ces multispécialistes ne manquent pas d’arguments, surtout s’ils sont en mesure de déployer des politiques de services d’envergure, notamment du point de vue de la chaîne logistique.
Plus de multispécialistes, moins de fournisseurs
Il y a donc de fortes chances que, devenus multispécialistes, les grandes marques occupent plus de terrain encore et que le nombre de fournisseurs diminue dans les plans de vente. Et les petits et moyens fabricants, les encore spécialistes, ceux dont la renommée ne dépasse pas la filière professionnelle…, pourraient bien voir leurs possibilités d’agir se réduire. Dès lors, comment faire face quand on est une PME ?
Exister en tant marque ? Dans le négoce, les MDD n’ont pas vocation, nous disent les enseignes, a être connues au-delà du professionnel. Les fabricants ont donc tout à gagner à se construire une notoriété auprès du consommateur, dont on sait que lorsqu’il est informé, devient le prescripteur.
Devenir incontournable dans sa niche ? Innover, donc. Certes, cela nécessite de la R&D, et in fine des moyens, mais l’innovation est une assurance-vie.
Développer le multicanal ? Les grands fabricants l’ont fait, qui ont grossi leurs ventes en activant l’un après l’autre tous les canaux de distribution (GSB, GSA, pure players, marketplaces…) et compensé ainsi les volumes transférés sur les MDD. Dégourdis par la pandémie, les particuliers qui décident et achètent seuls sont de plus en plus nombreux.
Proposer des produits exclusifs ? Pour les enseignes, ils sont un outil de montée en gamme. Pour les fabricants, ils suppriment certains coûts, par exemple liés à la force de vente.
Fabriquer des MDD ou en OEM ? Renoncer à être une marque pour mieux fabriquer celles des autres, c’est-à-dire celles du négoce qui, contrairement à la GSB, travaille essentiellement avec des petits et moyens fournisseurs traditionnels ; mais aussi celles des multispécialistes, dont les nouvelles familles de produits viennent ajouter aux volumes fabriqués en sous-traitance. Ainsi, l’Italie, avec ses nombreuses PME [1], est à la fois un sous-traitant et un grand fournisseur de MDD.
S’appuyer sur un réseau de distributeurs exclusifs ? Moins de distributeurs partenaires, mais dédiés aux produits et à la marque, formés et impliqués. Cette stratégie, qui existe sur le secteur du chauffage, est également mise en œuvre par certaines marques haut de gamme/luxe, mais aussi par des fabricants européens, italiens notamment, lorsqu’ils cherchent à s’implanter en France.
[1] Pour ne parler que de la céramique sanitaire italienne, selon Confindustria, l’association qui défend les intérêts de l’industrie italienne, en 2021, celle-ci représentait trente sociétés et quatre millions de pièces produites, pour un chiffre d’affaires de 369 millions d’euros environ – soit 12,3 millions par entreprise –, dont 45 % réalisés à l’export.
Photo : ISH 2023, @Messe Frankfurt.