Vues d’en haut, en contre-plongée, des lignes étonnamment incurvées se déploient sur les éléments qui composent la salle de bains. Avec leurs formes en aile, simple ou double mais toujours pleine de légèreté, ces lavabos, vasques, robinetteries, baignoires et meubles placés sous le signe d’Icare et de l’ergonomie, connaissent un décollage manifeste.
Bien que multiples, les configurations de ces ailes présentent des constantes, et des avantages, que l’étude d’un panel de modèles proposés par les fabricants révèle.
Poste de pilotage
Le meuble Badu de Burgbad (photo ci-dessus, 2019) est l’un des parangons de cette tendance qui ne date pas d’hier, mais s’affirme aujourd’hui. La composition en ailes d’avion légèrement rentrantes qui distingue la version double vasque travaille sur la fonctionnalité tout autant que sur la fluidité des lignes, dans la veine des collections galbées comme par exemple la nouvelle série Mam de Salgar (2020) à façade ondoyante. Fruit d’une réflexion sur l’ergonomie du point d’eau, l’agencement de Badu place chaque utilisateur légèrement de biais. Une zone de rangement forme un axe central au point de raccordement entre ces deux cuves et ces deux ailes, incurvées mais planes. Ce schéma invite à adopter une position qui rappelle celle des pilotes aux manettes d’un avion, vasque et miroir matérialisant leur moitié de « tableau de bord » respectif.
Question d’inclinaison
Photos : Ala de Falper – Sonar de Laufen – Manta Mialucce d’Idevit – Projet Dim Sum by Ludovica + Roberto Palomba au Flagship Store Kartell by Laufen, Milan Design Week 2018.
La double-vasque Sonar de Laufen (2017, design Patricia Urquiola) se distingue aussi par une symétrie en « miroir » qui dessine des ailes de papillon en SaphirKeramik. Inséré dans un ovale parfait, le fond de chaque cuve est placé à l’oblique façon « planche de lavoir » et incline ainsi vers une paire de bondes centrales que sépare une fine cloison. Une géométrique logique pour favoriser l’écoulement que le lavabo suspendu Lavandino d’Antonio Lupi (2018, design Ivano Vianello et Rosa Braga) exploite également, en pliant en quatre sa feuille d’acier inox, crédence comprise, pour mieux rassembler les flux au centre.
En suspension
Fut-elle simple et non double, l’orientation de l’aile, son angle, permet d’assurer l’évacuation de l’eau, à l’instar du modèle Ala de Falper (2018, design Victor Vasilev). Sa mince silhouette en solid surface oblique vers la bonde et semble se détacher du mur, littéralement suspension dans les airs, Ala signifiant « aile » en italien.
Marqué par un angle moins fort, cette idée se retrouve dans l’une des vasques du projet Dim Sum présenté par Ludovica + Roberto Palomba au Flagship Store Kartell by Laufen lors de la Design Week de Milan 2018, sorte de « cuillère » géante, dont l’un des côtés s’étire de biais.
Comme la trace de l’oiseau dans l’air
Photos : Wing de Falper – Soffio, Silenzio et Strappo d’Antonio Lupi.
D’un point de vue formel aussi bien que symbolique, qui dit « aile » dit allégement. Guidés par l’idée de se libérer d’une certaine pesanteur, les objets du quotidien semblent en quête d’élévation. En particulier ceux de la salle de bains qui, empruntant aux volatiles de grande envergure et aux papillons leurs fameux pavillons, optent ainsi pour un design… aérien. Bien que « plus lourds que l’air » comme les aéronefs, les éléments de la salle de bains dont le design est en aile semblent tenir en équilibre.
S’agissant de lavabo suspendu, la connexion avec le mur est justement l’occasion idéale de souligner le lien entre les deux en « gommant » les frontières visuelles. L’un semble alors émerger de l’autre dans une apparition quasi fantomatique que le rétroéclairage magnifie souvent (Wing de Falper ; Soffio, Silenzio et Strappo d’Antonio Lupi, ces ailes étant gonflées ou tendues et présentant de grands allongements). Cette façon de « fendre » la matière en lui donnant une souplesse inattendue peut faire penser aux œuvres de Lucio Fontana, peintre et sculpteur fondateur du mouvement spatialiste, avec ses toiles entaillées avec une précision chirurgicale, à la lame de rasoir.
La nature en exemple
Alors que les ailes des avions sont copiées sur celles des oiseaux et autres insectes volants pour des raisons purement structurelles, le biomorphisme peut pousser certains designers dans des voies nettement moins minimalistes.
Du point de vue de la plastique, l’exemple le plus original que nous ayons fraîchement remonté dans nos filets à l’occasion du Cersaie de Bologne est le lavabo Mialuce Manta de Idevit. Tout sauf furtives, ses ailes reproduisent le mouvement simultané des nageoires pectorales d’une raie, singeant cette fois un vol… en immersion.
Au service de l’ergonomie
Photos : Cockpit Discovery de Kludi – Vita de Cisal – Emotion Wellfit de Hansa – Rainfinity Shoulder Shower de Hansgrohe.
L’autre secteur qui plébiscite le design en aile est la robinetterie, et plus particulièrement les systèmes de douche à l’instar du bien-nommé Cockpit Discovery de Kludi (2019). Positionnés sur un plan incliné à 40° qui s’inspire des postes de pilotage, ses boutons de commande garantissent ergonomie et confort d’utilisation. Alors que le bain-douche Vita de Cisal (2019) affiche un carénage en fuseau qui rappelle le corps aérodynamique d’un avion, le mitigeur de douche thermostatique Emotion Wellfit de Hansa mise sur une forme plus épurée et trapézoïdale, qui caractérise également la douche d’épaule Rainfinity de Hansgrohe (2019).
Fendre l’air… ou les eaux
Autrefois désigné sous le terme « bateau » et sans cesse renouvelé, un modèle de baignoire en îlot participe de cette tendance en actualisant un design intemporel et confortable. A ces nouveaux double dos symétriques et bien enveloppants (Maui Square de Roca, 2019 – Volo de RelaxDesign) s’ajoutent des modèles dont la coque semble virevolter dans un mouvement sinueux, à l’instar de Dune d’Antonio Lupi (2009, design Mario Ferrarini) ou encore la baignoire Infinitive de Novellini (photo ci-dessus, 2020), animée par une torsion que souligne un éclairage périphérique.
A l’inverse très structurée, la collection Xviu de Duravit (2019, design Christian et Michael Sieger) intègre quant à elle des cuves en triangle isocèle (aile en delta), la vasque et la baignoire étant enchâssées dans une console en acier aux pieds tridimensionnels dont le profilé en V est fuselé comme une carlingue. Avec leur design oblong, la baignoire VVR de Moab80 et le receveur Select S13 de Hidrobox tracent eux aussi discrètement leurs silhouettes dans l’espace pour qu’appliquée à la salle de bain, cette aéro/nautique là sublime plus que jamais l’air et l’eau…
Photos : VVR de Moab80 – Maui Square de Roca – Select S13 de Hidrobox – Dune d’Antonio Lupi – Xviu de Duravit – Volo de RelaxDesign.