Extension d’une tendance qui s’affirme depuis quelques années déjà dans le webdesign et les logos de marques, le dégradé fait maintenant rayonner les revêtements muraux, y compris dans la salle de bains. Lumière sur un phénomène dont les radiations parent le carrelage (et le papier-peint) d’un halo vaporeux.
La notion d’aplat de couleur est bien connue des peintres, des graphistes ainsi que des imprimeurs. Elle caractérise une teinte plate et unie, appliquée sans aucune variation sur une surface. Désignant la version à 100 % d’une couleur, l’aplat est donc exempt de tout effet de modelé ou d’optique susceptible de créer une impression de volume ou de relief.
Le dégradé prend le contrepied de cette surface égale, sans trame ni atténuation. Dans le carrelage, certains fabricants proposent désormais des changements progressifs de densité ou de valeur dans la couleur, qui n’est donc pas employée pure. Les pigments sont au contraire (dé)lavés pour former une liaison optique qui permet le passage d’un ton à un autre, sans rupture. Il ne s’agit pas d’initier cette impression en réalisant un calepinage en camaïeu, carreaux après carreaux, mais à l’intérieur d’un format, de surcroît généreux.
Connue sous le nom de « Gradient », cette vogue pour une tonalité floue et vibrante plutôt que « flat » vient de l’univers de la conception d’interfaces web et du design graphique. Pour illustrer l’utilisation du dégradé en communication digitale, il convient de citer le logo pionnier d’Instagram, celui de Firefox ou encore de la Sncf. Avec la modélisation informatique des décors par impression digitale, le dégradé mute dans l’univers du carrelage…
Appliqué au revêtement, ce fondu a le pouvoir de casser la monotonie des murs en le parant de couleurs texturées dont la puissance fluctue, un peu comme dans le fond d’une toile de Turner. On peut qualifier le rendu d’atmosphérique, à la façon d’un ciel chargé de subtiles différences d’intensité, voire d’une certaine luminosité. Cet éclat changeant est basé sur l’intégration des différents spectres d’une même couleur, d’où un effet « néon », quasi fluo.
La progression en continu de la couleur peut se faire de deux manières, en mode linéaire (de gauche à droite ou de bas en haut et inversement) ou radial (rayonnement depuis un point, central ou désaxé). Ces schémas de diffusion permettent de passer graduellement d’une couleur de base à une couleur d’arrivée ou alors de l’ombre à la lumière. Selon les collections, un motif plus diffus (collection Operae, décor Gradient, Ornamenta, photo ci-dessus ; collection Join, décor Dusk, coloris Spice, Caesar Ceramiche, photo de droite) ou par strates se compose (collection Silk, décor Maysa II multi, Ape Grupo, photo ci-dessous).
Ces transitions douces s’exercent entre deux nuances (ou plus) d’une même tonalité (en allant de la foncée à la plus claire par exemple), séparée d’une courte distance (rouge/orange, bleu/vert) comme dans le cas d’un arc-en-ciel. Elles peuvent être au contraire très contrastantes, c’est-à-dire en opposition sur le cercle chromatique, comme le sont les couleurs complémentaires qui se renforcent mutuellement (bleu/orange, rouge/vert, jaune/violet) et dont le mélange produit une teinte sans dominante, entre blanc et noir.
Dans le registre tendre, on constate que les roses, particulièrement à l’honneur en ce moment, revêtent parfois une glaçure métallisée qui fait miroiter le carrelage en lui conférant un aspect nacré. La chatoyante collection Cromatica de Cedit (photo ci-contre), conçue par les designers Andrea Trimarchi & Simone Farresin (agence Formafantasma, Amsterdam), souligne ainsi l’interaction de la lumière, leurs créateurs invoquant pêle-mêle et de façon poétique « la Déesse Iris : l’arc-en-ciel est son pont entre la terre et le ciel. Le dégradé, les mille nuances de la couleur pure. Les miroitements de la couleur perle. Amalgames de métaux ; les tonalités argentées des alliages. »
D’autres créations offrent des reflets plus irisés encore, jusqu’à évoquer une sorte d’hologramme dont la lumière redéfinit sans cesse les contours. Ces carreaux sont déclinés en version mate et brillante, leur alternance amenant du rythme (collection Gran Mogol, finition Misti Iridescente, opaque et brillant, Peccholi, photo de gauche) ; collection Spectre, 241zero42, photo d’ouverture ; Irisdescent colors I+D by Hrg-Heralgi, photo ci-dessous). Ce développement s’inscrit dans la même veine que le dégradé, les nuances argentées et nacrées étant simplement concentrées au lieu d’être « étalées », comme on a aussi pu le voir sur la vasque Morfys de Sanindusa dont la céramique affiche une finition huileuse qui rappelle les hydrocarbures ou sur le globe de verre de la pomme de douche Bolla de Stella.
Palette pastel et minimaliste ou résolument vive, apaisante ou stimulante, tout est question d’association et le carrelage dégradé aimante littéralement le regard en distillant dans la pièce une énergie nouvelle. Selon leur dosage, il émane de ces collections aux superbes effets colorés une véritable puissance émotionnelle et un dynamisme qui anime les murs.
Dans ce sillage, les collections 2020 de papier peint proposent aussi ces effets nuancés, dans une imitation bluffante du carrelage (Paletta, Wall Pepper, photo à droite) ou une composition qui mise sur une illusion tridimensionnelle apportée par les ombrés (collection X, décor Artik, GlamFusion, photo en début d’article).