Et si nos thermes privés devenaient le temple d’un style inspiré des plus illustres monuments gréco-romains, érigés en modèles ? Rendant hommage à leurs formes et matériaux, les éléments qui composent la salle de bains revisitent un idéal antique devant lequel on ne peut rester stoïque.
A grands renforts de clins d’œil architecturaux, la tendance antique relie le présent au plus prestigieux des passés. En occident, c’est le temps du mythique âge d’or de l’Antiquité que d’aucuns considèrent, à l’instar d’Alexandre Dumas, comme « l’aristocratie de l’histoire ». Remis au goût du jour, les principaux codes de cette période magnifiée envahissent le décor : colonnes, arcs, pilastres… Photos ci-dessus : Roma de Kreeo, Canyon de Relax Design, Roma de North.
Une rémanence de masse
Qu’on se rassure : cette vogue puise dans l’imaginaire collectif plus que dans de quelconques références savantes. Dans la salle de bains comme le reste de l’habitat, mode-maison oblige, la tendance New Antic n’est pas une affaire de spécialistes, encore moins de copistes. A bien y regarder, la culture populaire contemporaine regorge de renvois plus ou moins cachés à l’Antiquité, de l’univers de la série Game of Thrones à celui de jeux vidéo tels que Total War, en passant par la publicité, le cinéma, la mode… [1] Et donc désormais la décoration, qui nous invite à jouer un petit péplum dans la salle de bains.
Du lavabo-colonne à la colonne-lavabo
Premier de ces héritages culturels à avoir traversé les âges, la colonne est sans conteste le pilier de cette tendance pas si passéiste que ça. Développant sa toute première collection Maison inspirée des colonnes grecques qu’il considérait comme « la perfection, le standard de la beauté fixé une fois pour toutes », le couturier Karl Lagerfeld ne disait-il pas que « rien n’est plus moderne que l’Antiquité. La mythologie est la base de toute culture […] On y puise un style indémodable qui peut convenir à ce nouveau millénaire » ? [2]
Détourné de son usage de soutènement, ce support vertical de forme cylindrique ne perd rien de son effet colossal lorsqu’il donne corps à des vasques totem, plus sculpturales que jamais.
Ayant fait du marbre sa spécialité, le fabricant italien Kreoo propose ainsi un modèle de colonne renflée, plus large à sa base (photo ci-dessus). Nommée Roma (à l’instar de la capitale de l’Empire Romain, CQFD), ce modèle associe la pureté transparente de l’onyx blanc à des rehauts d’or peint, incrustés entre chaque cannelure (comme c’était le cas à l’époque antique), la vasque qui la couronne prenant alors la place d’un chapiteau majestueux. Avec son fût cannelé en marbre formé de trois tronçons de pierre cerclés de métal, le bien-nommé lavabo Column de Porcelanosa témoigne lui aussi de cette dévotion pour l’Antiquité. Si ces colonnes-là sont élevées à la gloire d’un temps disparu, elles témoignent également avec élégance de notre époque, quitte à revoir (et corriger) le schéma du bon vieux lavabo-colonne…
S’affranchissant des archétypes, les créateurs dépoussièrent effectivement les classiques. Egalement baptisé Roma, le monolithe sur pied signé Lievore + Altherr Desile Park pour Noorth (Milldue Edition, photo ci-dessus) associe deux ou trois tronçons aux finitions opposées : une cuve lisse et éclatante en marbre de Carrare et, dans le même alignement, un fût au fraisage irrégulier, avec ses mille et une entailles verticales dans un marbre contrastant.
Toutes les voies semblent possibles, avec pour seule limite l’imagination, la faisabilité ou la fonctionnalité, comme avec les manettes colonnes ou pilastres de la robinetterie Kea de Treemme (design Marco Pisati & Giampiero Castagnoli, photo ci-dessous) dont les lignes puisent avec malice dans le registre de l’architecture hellénique. Après tout, pourquoi pas, rien qui ne complique la préhension, au contraire…
Alors que ce parti-pris peut paraître un peu cliché, la vasque à poser Bloom dessinée par le designer Edward van Vliet pour JEE-O (photo de droite) préfère miser sur une esthétique minimaliste qui la place à bonne distance du registre de l’architecture antique dont elle procède pourtant en filigrane. Bien qu’elle ait pour base, comme son exemple lointain, un polygone régulier à plus de quatre côtés, elle n’a rien d’un banal exercice de style. A chacun son imagerie, plus ou moins caricaturale, de l’Antiquité…
L’arc, ossature de l’architecture
Pour un traitement colossal du point d’eau, un même principe d’abstraction caractérise le lavabo en freestanding Canyon de la marque italienne Relax Design (vue au Cersaie, photo d’ouverture) dans lequel un évidement figure cette fois une arche épurée, sur le haut du fût. Une voûte aussi discrète que celle qui donne sa forme au radiateur sèche-serviettes Loggia de Brem (ci-dessus) ou qui, dupliquée régulièrement, rythme la façade du modèle Class de chez Arblu ou, plus original encore, la découpe en demi-cercle de la paroi de douche Nouveau de Ex.t. Photos ci-dessus : radiateurs Class de Arblu et Loggia de Brem, mélangeur Kea de Treemme, meuble Grate & Arc d’Inbani.
L’arc, figure essentielle de l’alphabet de l’architecture antique, est de tous les décors. C’est aussi l’occasion de « broder » sur un motif sans doute aussi célèbre que notre tour Eiffel, celui du Colisée romain, à l’image de la monumentale vasque Fifty, lauréate d’un concours de design pour les cinquante ans du marbrier italien Julia Marmi (projet de l’architecte Luca Maci, photo ci-contre).
L’arc peut encore de constituer la trame d’une toile de fond haute en couleurs, comme le proposent plusieurs séries de revêtements muraux en tout genre, du papier peint panoramique (Thésée de Mues Design) au carrelage dans une version qui quitte l’échelle XXL pour jouer la répétition façon gimmick graphique (Arch, collection Operae d’Ornamenta). Voire de remonter les siècles avec des carreaux imitant à s’y méprendre les fresques de la cité ensevelie sous les cendres par l’éruption du Vésuve, en octobre 1979 (Villa Pompei, collection Hand Painted, Target Group)… Photos ci-dessous : Thésée de Mues Design, Arch, collection Operae d’Ornamenta, Villa Pompei, collection Hand Painted, Target Group.
Le pilastre, relief graphique
Se distinguant par une légère saillie et non un volume, le pilastre est en quelque sorte la version plate de la colonne, à l’origine placé en applique sur un mur. Cet élément purement décoratif affiche des rainures verticales, légèrement bosselées ou quadrangulaires qui apportent un effet de texture avec davantage de mesure que les moulures, plus fortes, du fût. L’éloge de la simplicité en somme…
A défaut d’architecture, nombre de façades de mobilier ont adopté ce relief graphique intemporel qui crée un jeu de rayures de nature à faire « danser » la lumière. Parmi les très nombreuses collections qui utilisent cette dynamique visuelle, citons Synergy de Fiora (parement vertical), Dolce Vita d’Idea Group (parement horizontal) et Grate & Arc d’Inbani (photo ci-dessus), la collection d’esprit néoclassique dessinée par Normarchitects, en cours de lancement.
[1] Actes du colloque Antiquipop : la référence à l’Antiquité dans la culture populaire contemporaine, sous la direction de Fabien Bièvre-Perrin et Elise, collection TMO, éditions de la Maison de l’Orient, 2018.
[2] Karl Lagerfeld habille la maison, article de Véronique Lorelle, 24 octobre 2018, Le Monde.