Le marché de la robinetterie doit désormais composer avec les MDD. Même si, par rapport à d’autres produits de la salle de bains, leurs parts de marché sont encore limitées, elles progressent de manière importante, obligeant les industriels à réagir.
Bousculé, instable, banalisé, hyper concurrentiel, omnicanal, en quête permanente de valeur ajoutée, impitoyable si l’on compte les disparitions d’usines et de marques… ainsi va le marché de la robinetterie, mondialisé depuis 30 ans. Après la montée en puissance des GSB (années 1980), l’afflux des robinetiers italiens (années 1990), l’arrivée de l’import chinois (années 2000), l’avènement d’Internet et de l’e-commerce (années 2010), voici qu’au tournant de cette nouvelle décennie, la progression des marques de distributeur (MDD) sur le secteur de la robinetterie sanitaire préoccupe les industriels européens.
Environ 15 % de part de marché dans le négoce
Les MDD, donc. Elles ont pris plus ou moins d’envergure selon les enseignes, mais le maître en la matière est Saint-Gobain Distribution Bâtiment (SGBD) France. Alterna, dont Olivier Mercadal disait lors d’une conférence de presse qu’elle était « la marque sanitaire leader en France », est présente notamment chez Cedeo et Envie de salle de bain. Réunissant (dans un catalogue dédié) mille références de produits de salle de bains disponibles en 24 heures, dont plus de 120 pour la robinetterie, elle est largement mise en avant dans les salles d’expo et pèserait 25 % des ventes, tous produits et enseignes confondus, mais moins de 15 % pour la seule robinetterie. A l’occasion de ses 25 ans, célébrés en 2019, la marque s’est offert une signature explicite : « Alterna, l’assurance sérénité ».
Le rôle des MDD dans les plans de vente des négoces a évolué au cours du temps. Au début, il s’agissait de disposer de produits à plus faibles prix (10 à 20 % de moins que l’équivalent de marque), puis de restreindre le poids du leader dans le chiffre d’affaires de la famille de produits. Aujourd’hui, les MDD sont déployées pour sécuriser les marges en évitant la guerre des prix engendrée par l’e-commerce.
Pour autant, leur poids dans le négoce reste relativement limité, évalué aux alentours de 15 % (en volume) pour la robinetterie, mais en forte croissance (à deux chiffres, semble-t-il), contre 45 % dans la GSB, stable. C’est moins que dans certaines familles de produits, la douche notamment, ou que dans d’autres pays, l’Allemagne par exemple. En France, la force d’attraction des marques leaders sur le marché, en particulier Grohe et Hansgrohe, mais aussi Ideal Standard et Jacob Delafon, freine leur développement. En Allemagne, où les marques sont d’autant plus puissantes qu’elles sont nationales, le poids des MDD serait pourtant supérieur – compris entre 20 et 25 % –, démontrant celui du négoce et la confiance que les professionnels lui accordent. D’autant que les « petites » marques y sont moins nombreuses. Autre pays, autres mœurs.
L’entrée de gamme fait les volumes
Il n’empêche : petit à petit, les MDD font leur nid, s’installant sur l’entrée de gamme, du chantier (un peu) au showroom, en passant par le comptoir. Avec elles, le négoce se verrait bien truster le cœur du marché, réservant aux marques le moyen-haut de gamme et l’innovation, le design en rupture, les moutons à cinq pattes… Evidemment, il ne peut en être question pour les industriels : l’entrée de gamme faisant les volumes et les volumes tourner les usines, ils ne lâchent rien.
C’est ainsi qu’ils multiplient les opérations de séduction – autrement dit les promotions – auprès des professionnels, qui achètent des « produits d’habitude » plus que des produits basiques. La stratégie consiste donc, après avoir travaillé l’offre de manière à ce que la montée en gamme soit palpable (économie d’eau, design, couleur, pose simplifiée, pièces détachées…), à faire « goûter » aux nouveautés. C’est d’autant plus payant que, nous dit un distributeur, « l’installateur est devenu plus produit que marque » et que le basique, qui vient de Chine, « ne permet pas de gagner de l’argent, mais simplement de garder son client. » Cela étant, dans le négoce, MDD ne rime pas avec bas de gamme.
Un plafond de verre
Mais il y a un plafond de verre, que certains estiment à… 40 % du chiffre d’affaires des enseignes (qui serait la performance de Vigour chez GC Gruppe en Allemagne) ! Toutefois, si elles veulent gagner de l’argent avec leurs MDD, les enseignes n’ont pas intérêt à développer trop de séries, au risque d’empêcher la montée en gamme. De plus, les produits sous MDD ont une fâcheuse tendance à beaucoup se ressembler d’une enseigne à l’autre. Ni tout à fait pareils ni vraiment différents, ils sont tous largement inspirés des runners des grandes marques. Enfin, la déflation que le marché connaît tend à réduire les écarts de prix avec les produits de marques, limitant l’intérêt des MDD aux yeux des acheteurs qui, à 10 % près, préfèreront toujours l’équivalent griffé.
En GSB, le prix moyen d’un mitigeur de lavabo en 2019 était de 53 € TTC, en baisse de 7 % par rapport à 2018. Nous n’avons pu établir celui du négoce, mais il ne fait aucun doute qu’il s’érode : sur le segment chantier, on a vu, nous dit-on, des mitigeurs de lavabo à moins de 20 € HT, contre 30 à 35 € habituellement. En salle d’expo, la majorité des ventes se situerait entre 100 et 110 €.
Le co-branding, gagnant-gagnant
Même s’il n’est pas parfait, le co-branding constitue un bon compromis, pour le distributeur comme pour le fabricant. Il offre l’exclusivité recherchée et des marges supérieures (par rapport aux MDD) à l’un et la mise en avant de sa marque à l’autre, tout en renforçant le lien entre les deux. De plus, le standard de qualité est assuré, les pièces détachées restent disponibles et le problème de la déflation est évité. Enfin, il est une opportunité pour remettre de l’expertise dans les achats et faciliter la montée en gamme, grâce à la mise en avant de la technique et des fonctions, et non plus du seul design.
L’innovation : l’assurance-vie des fabricants
Si les distributeurs préservent leur marge via les MDD et les produits en co-branding, les fabricants eux, les maintiennent à travers les innovations, soutenues par d’importants investissements. Mais celles-ci concernent aujourd’hui surtout le design, qui permet de différencier les produits, que ce soit entre les séries chez un même industriel ou entre des industriels aux standards de qualité équivalents. Mais lorsque l’esthétique, donc le subjectif, prime sur la fonction, la montée en gamme est difficile. C’est pourquoi les marques cherchent à remettre en avant les performances techniques (cartouche souple, flexibles longs, débit 5 litres/min, pose facilitée…), objectives, et avec elles la dimension confort, que le design a mis de côté. Du moins au lavabo, car dans la douche, le confort a toujours du sens (jets, lumière, encastré, déclenchement par bouton poussoir, diamètre des pommes de tête…), facilitant la montée en gamme.
L’impact du coronavirus
Si personne ne peut prédire quel sera l’impact de la crise sanitaire, il y en aura un, forcément. S’agissant du marché de la robinetterie, il est probable qu’il se traduise par un resserrement des plans de vente… Certains « petits » fabricants, lesquels sont nombreux en France, pourraient alors décider, pour simplement vivre, d’accéder au marché autrement : en vendant via leur propre site Internet, par l’intermédiaire des plateformes d’e-commerce, en direct aux installateurs… Après tout, avec une politique tarifaire cohérente, qu’est-ce qui pourrait les en empêcher ?
Photo d’ouverture : salon ISH 2019.