La crise que nous traversons révèle celle, profonde, que subit notre système, poussant chacun à réagir. Cette étude prospective, réalisée par L’Echangeur BNP Paribas Personal Finance, anticipe quatre modèles de consommation et de commerce pour l’après Covid-19. Quatre modèles qui induisent quatre formes de progrès et un autre monde, en devenir.
En réalité, l’étude prospective proposée par L’Echangeur BNP Paribas Personal Finance* a démarré avant la crise sanitaire. Celle-ci a évidemment modifié les premières hypothèses, mais seulement à la marge, les confortant plutôt, voire les amplifiant. Les indicateurs clés pris en compte, généraux (économie, climat, technologie…) et appliqués (aisance financière, usage digital, relation…), déterminés en collaboration avec L’Observatoire Cetelem**, montrent des scenarii solides, qui dessinent les contours d’un monde déjà en marche.
1. Stars Systems : les marques les plus fortes l’emportent, les autres meurent
Alors que l’OMC (Organisation mondiale du commerce) annonce que le commerce devrait être en repli de 20 % en 2020, Jeff Bezos s’enrichit de plus de 24 milliards de dollars… Dans ce scénario du commerce de demain, les écarts se creusent encore. Après le Covid-19, les forts le sont encore plus (Amazon, Walmart, Decathlon, Carrefour, Nike, Tesco…) et les plus fragiles sont précipités vers la faillite (Gap, La Halle, André…). C’est le modèle libéral poussé à l’extrême, où les plus grands grandissent encore, à force d’intelligence artificielle, tandis que, dans chaque secteur, quelques petits gravitent autour.
La crise sanitaire est l’occasion, pour ces tout-puissants, d’affirmer ce leadership : c’est Décathlon qui transforme ses masques de plongée en respirateurs de soins intensifs, LVMH qui fabrique du gel hydro-alcoolique en lieu et place de ses luxueuses fragrances, Franprix qui créé une plate-forme pour faciliter les dons… Une manière de poursuivre la communication, positivement.
Mais le confinement précipite aussi la digitalisation de la consommation. En France, l’e-commerce alimentaire bondit de 40 à 50 %, gagnant 2,5 millions nouveaux acheteurs en ligne, notamment les boomers, dont 68 % ont passé leur première commande durant cette période… Des partenariat inédits se nouent, par exemple entre Carrefour et Huber Eats pour faire de la livraison de première nécessité. Les drives piétons fleurissent, tandis que Leroy Merlin adapte sa façon de vendre et ajoute des services spécial confinement à son éventail. A noter, le shop streaming ou live shopping débarque de Chine. Ce mode d’achat passe par des vendeurs en ligne, façon camelots 4.0, qui répondent en direct aux questions des consommateurs, lesquels peuvent aussitôt acheter.
2. Life control : les outils technologiques multiplient les possibilités de surveillance
Dans ce deuxième scénario, qui s’appuie sur la centralisation de multiples données, nos vies sont sous contrôle. C’est déjà le cas en Chine, via les géants de la technologie (Tencent, Alibaba…) et les 600 millions de caméras installées qui, à moins de trois mètres, sont capables de vous identifier, de mesurer votre température corporelle… Alors que 62 % des Français se disent prêts à se servir d’une application de tracking pour lutter contre le coronavirus durant le déconfinement (source Odoxa), Google, Facebook et Apple proposent leurs services aux gouvernements et l’application Stop Covid va être lancée dans l’Hexagone.
Nos vies sont déjà sous contrôle. A ce jour, le monde compte plus de 26 milliards d’objets connectés, assistants vocaux et montres notamment, celles-ci pouvant repérer des troubles du rythme cardiaque, déterminer la saturation en oxygène, détecter les apnées du sommeil… Autant de données permettant d’anticiper et de déceler des maladies, de prescrire des consultations par vidéo ou de suivre une maladie infectieuse. Les Gafam, en particulier Amazon qui a lancé les tests ADN (prédisposition aux maladies) et peut s’appuyer sur 200 millions d’assistants personnels Alexa à travers le monde, sont prêts à proposer des suivis de santé, avec des offres de télémédecine qui viennent s’additionner à celles existantes.
3. Made locally : le triomphe du local, de l’économie à taille humaine et de l’entraide
Durant la période de crise, le commerce de proximité a progressé de 30 % (Nielsen) et son trafic de 11 % (Kantar), alors que les hypers ont vu leur activité reculer de 24 %. Il n’est plus une simple solution de dépannage, d’autant qu’il passe aussi par les outils digitaux, notamment les drones et robots pour la livraison…
Le local, troisième scénario, est promu par de grands acteurs économiques. Le site Mavillemonshopping.fr, où 1 200 commerçants du centre ville de 160 communes vendent leurs produits, est soutenu par La Poste, qui peut ensuite effectuer les livraisons. Sauvetoncommerce.fr permet d’acheter des bons d’achat pour aider les magasins de son quartier durant la crise… Ces solutions répondent aux besoins de traçabilité alimentaire, de soutien de l’emploi, d’élimination des intermédiaires et de resserrement des liens sociaux. Dans cette quête d’indépendance stratégique, économique et sociale, l’approvisionnement est local. Il participe au développement des fermes urbaines et de l’impression 3D, qui ouvrent le champ des possibles.
4. Earth in progress : protéger l’environnement, privilégier l’intérêt général et la solidarité
Contrairement au localisme, réassurance à court terme, l’action collective suppose une vision au long cours et remet en cause l’idée même de progrès et de croissance. Ce scénario ajoute des tensions sur les entreprises, déjà sous forte pression. Il s’agit de se transformer rapidement et de prouver que l’on contribue à l’intérêt général.
Cette mutation ne peut se faire sans projets collectifs et entraide. Elle invite à réévaluer les liens de dépendance, à s’émanciper des frontières pré-établies, des intermédiations existantes. Elle ouvre la porte à de nouveaux protagonistes et types d’échanges, et engage la société civile. C’est la Maif qui veut offrir les économies réalisées grâce au confinement aux hôpitaux ou C’est qui le patron qui organise une collecte pour « partager les gains avec ceux qui souffrent… »
Avec le coronavirus, l’ancien monde est remis en cause. La question du vrai besoin et de son impact social et environnemental est posée. Les métiers nécessaires à notre survie doivent être revalorisés. Les actionnaires sont amenés à renoncer à leurs dividendes, tandis que le Danemark refuse d’aider les sociétés logées dans des paradis fiscaux et que les ministres bulgares et certains grands patrons redonnent leur salaires… La philanthropie ne suffit plus et le sujet de la redistribution est sur la table. Protéger ses collaborateurs, ne pas inciter à acheter n’importe quoi… Pour changer le monde il faut se changer soi-même et revisiter les modèles.
Les enseignements transversaux
A ces quatre scénarios correspondent quatre formes de progrès, qui opèrent sur le court terme (Star Systems, sans remettre en cause le modèle actuel, et Life Locally, valorisant le progrès à échelle humaine), le moyen terme (Life Control) et le long terme (Earth in progress, qui questionne l’idée même du progrès).
A l’aube de cette nouvelle décennie, un autre monde se prépare avec ses codes, ses organisations, ses technologies et ses valeurs. Pour conclure, les auteurs de l’étude ont déterminé sept leviers permettant de relever les défis de la consommation et du commerce :
♦ Marque et enseigne peuvent devenir les labels d’une autre consommation, plus relationnelle, moins consumériste,
♦ L’avènement de l’économie des plates-formes invite à globaliser la proposition de valeur, la santé devenant le fer de lance, voire le cheval de Troie,
♦ L’ingérence du privé dans le public est inéluctable, posant la question de la gouvernance face à la puissance de certains acteurs,
♦ L’autonomie, voire l’indépendance des territoires, questionne sur la redistribution des responsabilités et un nouvel équilibre mondial,
♦ L’innovation technologique devient aussi suspecte que salutaire quand le digital se révèle indispensable,
♦ La consommation est ré-arbitrée car conscientisée,
♦ La responsabilité de tous est engagée, le sens du progrès est ré-interrogé, la pérennité de la société étant au centre des préoccupations.
*BNP Paribas Personal Finance, numéro 1 du financement aux particuliers en France et Europe (Cofinoga, Cetelem, Findomestic, AlphaCredit…), a développé une stratégie active de partenariat avec les enseignes de distribution, sites d’e-commerce, institutions financières… Cette étude a été réalisée par Cécile Gauffriau, Guillaume Rio et Nicolas Diacono.
**Créé en 1985, L’Observatoire Cetelem est une structure d’études et de veille économique du groupe BNP Paribas Personal Finance. Il a pour objet de comprendre les mutations de la consommation.