Spécialiste du bricolage online, ManoMano « concentre sa stratégie sur la perfection de l’expérience client » et repositionne son identité visuelle en s’appropriant des codes graphiques qui expriment davantage son positionnement singulier. Décryptage des vecteurs de cette communication percutante, qui doit le conduire vers le milliard d’euros de chiffre d’affaires.
D’après Le Robert, Mano est un mot en usage dans les dictionnaires espagnol et italien. Son étymologie renvoie au latin manus, qui a d’abord donné man (v. 980), puis main (1080) en français, mais aussi mão en portugais, mund en vieil anglais… Instrument du toucher et de la (com)préhension, la main est considérée comme le principal moyen de connaissance et d’action ayant permis à l’homme de se distinguer de l’animal. Elle fut même l’acteur déterminant de son évolution vers le progrès, très tôt décrit par Aristote (384 av. J.-C – 322 av. J.-C.) comme « l’instrument des instruments, (…) capable de tout saisir et de tout tenir » (in Les parties des animaux). Selon le philosophe grec de l’Antiquité, cet « outil qui tient lieu des autres » se singularise ainsi non pas par sa spécialisation mais par sa polyvalence, sa capacité d’adaptation à des conditions d’existence toujours changeantes. Et dans le cas présent aux aléas des petits et grands chantiers.
Dépourvue des qualités intrinsèques des animaux avec leurs griffes, plumes et autres carapaces, l’espèce humaine a donc dû sans cesse façonner ses attributs externes : vêtements, armes, chaussures… En ce sens, la main s’avère être son premier outil, l’initiateur du développement d’instruments, de processus, puis de machines. C’est pourquoi, l’outil artificiel contribue à définir l’humanité qui, elle seule, possède la faculté de produire et de posséder des techniques. Avec la main pour moteur, l’intelligence de l’homme résiderait donc tout autant, si ce n’est davantage, dans son savoir-faire que dans ses savoirs. Une idée qui prend tout son sens lorsqu’il s’agit de communiquer autour d’une enseigne qui s’est donné « pour mission de faciliter les travaux de bricolage et jardinage pour tous les Européens. »
Nous sommes ce que nous faisons
En opérant sur six marchés, ManoMano.fr entend faire de sa marque « un repaire puissant et fédérateur pour tous les passionnés, les experts et les amoureux du bricolage ». Une population auprès de laquelle il entend être (o)util(e), quel que soit le niveau de maîtrise de chacun. La nouvelle identité est justement construite pour poursuivre le rassemblement de cette communauté hétéroclite d’homo faber. C’est elle qui est mise en scène, sans filtre, décomplexée et funky au travers de la vidéo reveal d’identité du « Manifesto » ManoMano diffusé sur les réseaux sociaux…
Déjà, la marque des origines exprimait graphiquement un geste symbolique : une main tendue vers l’autre, mano(à)mano, sans intermédiaire. Les deux mots jumelés exprimaient une association de deux entités fraternelles, qu’illustre nombre d’expressions : se donner la main, donner un coup de main, prêter main-forte, tendre la main… Les deux mots, d’égale apparence, sans capitale ni autre distinction que la couleur, l’un en jaune, l’autre en bleu, se faisaient face-à-face même s’ils avançaient côte à côte, solidaires. Au travers de valeurs chromatiques codifiées, ce couple exprimait le positionnement et la personnalité de la société. Le jaune, synonyme de compétence et porteur de valeurs chaleureuses telles que l’optimisme, la communication ou la créativité, est couramment utilisé par la grande distribution parce qu’il stimule les achats impulsifs (Ikea, Amazon, ancien logo de CDiscount), par les transports (Ups, La Poste, DHL)… Il fut associé au bleu, couleur préférée des hommes (mais aussi des femmes ;-). En marketing, le bleu véhicule une certaine sûreté, une honnêteté qui met en confiance. Fidélité et liberté aussi, avec même un côté corporatif. Une identité chromatique rassérénante sur laquelle s’appuient traditionnellement les secteurs du voyage (Booking.com…), de la banque ou de la high-tech (HP, Facebook…). Une évidence pour un pure player tel que ManoMano qui l’a donc conservé pour contribuer à forger son identité singulière mais solide !
Une nouvelle palette qui en jette
Au-delà du simple usage fonctionnel, la nouvelle « main dans la main » bicolore incarne une sorte de partenariat, la métaphore de l’action bienfaisante de ManoMano qui se devait d’être présentée comme « crédible », « avec une vraie taille », « qui prend de l’importance », « qui est spécialisée dans le web, ce que ne sont pas les autres » selon les mots de ses créateurs… Fort de sa nouvelle identité de marque, ManoMano dit en particulier avoir « l’expérience client en ligne de mire ». Un aveu réfléchissant, dans tous les sens du terme. De la version initiale, le logo a justement conservé sa dimension réflectrice, le (dé)doublement du mot « mano » établissant deux pôles unis par un même concept…
L’harmonie est d’abord optique. Synthèse du bleu et du jaune initiaux, le vert incarne cette unité. L’agence Seenk, à l’origine de cette nouvelle identité visuelle, met en avant « cette palette qui en jette », expliquant que « la base de vert jade s’éloigne volontairement des codes du secteur et la variété des couleurs pop célèbre la diversité des goûts ». Associé au bleu des débuts qui cadre avec l’esprit startup, la portée de cette couleur paisible issue d’un mélange équilibré est immense. A l’instar du végétal (un bon point pour l’axe jardinage), ce vert lumineux est à rattacher à la croissance (naturelle, donc), la santé, la fraîcheur, l’écologie, au renouveau… Mais, encore une fois, il ne s’agit pas de calquer ses principes sur d’autres mais bien de défricher son propre territoire de marque, son « pré » pas forcement carré. Pour cela, le nouveau logo de ManoMano se pare d’un dégradé subtil : le fond n’est pas flat, mais nuancé. Devenues tendance sous l’impulsion d’entreprises innovantes et calquées sur l’esthétique d’un nombre croissant d’interfaces web, les couleurs vibrantes sont actuellement LE signe de modernité et d’originalité, un marqueur de la création visuelle en 2018. Belle manière « de mettre l’accent » sur le fait d’être « différent », « pas comme l’industrie », « quelqu’un de crédible », « qui est jeune », « qui a une personnalité décalée », « joueuse avec une dimension clairement optimiste » selon Christian Raisson et Philippe de Chanville, les créateurs de ManoMano. De quoi influencer positivement notre perception et notre attitude face à « ce nouvel acteur » sachant que la couleur est la composante visuelle que l’on assimile le mieux et se remémore le plus, bien avant les formes et les mots…
MMM#WWW
La structure typographique de la marque se double d’une lecture pictographique, plus forte encore. Alors que la marque s’écrivait jusqu’alors en minuscules manuscrites, les deux mots n’en formant de la sorte qu’un, les lettres M deviennent initiales. Sans empâtement, la lettrine se fait sigle et ajoute un troisième M, renvoyant de façon pertinente au sésame universel du web. WWW est un symbole qui fait désormais de l’Internet le prolongement « natif » de la main. Bien vu pour un acteur exerçant son activité commerciale uniquement sur la Toile et qui entend ainsi challenger les « modèles retail traditionnels ». Dans une composition en triptyque, ces M/W rendent ainsi (in)visible la composante essentielle de la société qu’est l’Internet et ajoutent une dimension affective, induite par le phonème du M/aime qui (en français du moins) déclare une affinité, une attirance, l’appartenance à une communauté élective comme les pouces levés et les like nous permettent d’exprimer virtuellement à tous nos points de vue et sentiments, synonymes du fameux engagement…
La communauté comme clé de voûte
Les fondateurs le clament par vidéo interposée : « Il y a quand même clairement une ligne directrice entre l’ancien et le nouveau logo. » D’un point de vue formel, il est évident que les évolutions ne modifient pas les fondamentaux évoqués préalablement. Mieux, elles les renforcent : le dessin de la lettre M schématise deux êtres qui se donnent la main ; la lettre capée semble solidement campée par ses deux verticales, offrant symétrie et stabilité (…). A bien observer d’ailleurs ces deux « bras », une distinction remarquable émerge. Le premier s’appuie sur une diagonale, ce mouvement qui pointe vers le haut allant bien sûr dans le sens d’une capacité d’action, de faire, d’innover. Le suivant apparaît « debout », à l’image de l’humain, animal doué d’esprit, d’intelligence (la fameuse bipédie, encore…), peut-être plus « jambe » que « bras » d’ailleurs, avec sa verticale légèrement descendante, comme solidement ancrée dans le sol. Garant de la stabilité de l’ensemble, ce montant constitue une sorte de pilier amortissant la « poussée » exercée préalablement de biais, encadré des deux arcs-boutants qui recouvrent le M, comme deux encorbellements symétriquement opposés. Une clef de voûte graphique qui renvoie, mine de rien, à la communauté de clients et d’experts de la marketplace de ManoMano et confirme que l’entreprise va de l’avant. Cette dynamique (in)fuse sur tout le site où les créatifs ont par exemple misé sur « les titrages en biais et les contours marqués des shootings produits » qui « impulsent enfin l’élan créateur et l’énergie du faire ».
Nouveau look pour une nouvelle vis
ManoMano, comme toute entreprise du secteur digital, se devait d’avoir un pictogramme compatible avec une utilisation sur les réseaux sociaux. A la savante et logique construction du M, ManoMano ajoute une dimension qui lui est propre. La lettre est en effet insérée sur un fond qui évoque sans le dire l’univers du bricolage. « Un nouveau look, pour une nouvelle vis » (sic) puisque cette géométrie hexagonale ne doit rien au hasard. Selon le Centre national de ressource textuelles et lexicales (Cnrtl), l’écrou est non seulement une « pièce de métal, de bois ou de matière dure permettant le serrage, percée d’un trou cylindrique dont la surface interne est filetée et destinée à recevoir le pas d’une vis, d’un boulon » mais aussi, au sens figuré « ce qui serre, retient ou assemble ». Il induit par ses contours un mouvement rotatif, un geste… Cette alvéole à 6 pans peut aussi évoquer le travail exemplaire de l’abeille et relever plus finement encore d’une géographie propre à la France… Quant au « O » étonnamment circulaire qui ponctue par deux fois le mot Mano, il figure tout à la fois une rondelle/œillet, une pupille (la lettre « O » a pour origine le hiéroglyphe « œil ») ou une bouche (délivrant des SMS).
Monts & Marvels
La promesse de ManoMano envers sa communauté de « passionnés, experts et amoureux du bricolage » se double d’un message décomplexé que le film accompagnant la refonte de son identité visuelle délivre à grands renforts de clichés (au sens propre) qui finissent d’ôter toute crédibilité à ceux (au sens figuré) qui pullulent dans l’univers pseudo-parfait des réseaux sociaux. A bas la réalité instagrammée, place à une vision pop et créative basée sur la sincérité. Au quotidien, le summum visé par ManoMano, c’est l’expérience client. A chacun son sommet : « Avec ManoMano, ce qui compte, c’est de se lancer sans peur et sans reproche dans son défi du moment » analyse l’agence Seenk pour défendre la « promesse incarnée par la signature ». « Faites comme VOUS voulez » : moins de formatage, plus de fun. Parce que le M de ManoMano est aussi celui des indéfectibles Marvels ou du plombier Mario, la mascotte super optimiste de Nintendo capable de venir à bout de n’importe quelle situation malgré une apparence banale…
Un leader, une ligue
« Se faire un monde à son image, il n’y a rien de plus beau ». Alors à chacun son sommet, à commencer par planter un clou ou entretenir son toit-terrasse. L’action compte tout autant que le résultat et « tant mieux si ça ne ressemble qu’à vous ! » scande la voix off de la vidéo : « le monde n’en sera que plus beau ». Tout est affaire d’engagement : « bricoleurs de tout pays, unissez-vous ! », tutorés par les SuperManos et les Manodvisors issus d’une génération inédite de conseillers avant et après-vente qui assurent « un accompagnement au top » (une pensée pour M, l’éphémère assistant virtuel de Facebook). Des challenges infinis attendent d’être relevés. Alors, cap ou pas cape ?
Repères
♦ Création de ManoMano en 2012, près de 300 salariés aujourd’hui, chiffre d’affaires 250 millions d’€ (2017).
♦ Levée de fonds de 60 millions d’€ en décembre 2017.
♦ Présence en Belgique, Espagne, Italie, Royaume-Uni et Allemagne.
♦ Place de marché de 1 300 marchands et 2,9 millions de produits référencés.
♦ Avant l’achat, les clients peuvent s’adresser à des conseillers, bricoleurs certifiés et sélectionnés, les Manodvisors’, qui conseillent tout en remettant de l’humain dans l’expérience client. Après l’achat, les Supermanos peuvent aider et guider les clients lors de la pose.
♦ Selon ManoMano.fr, la création de ce nouveau logo a impliqué 257 personnes. 310 jours se sont écoulés entre le lancement du projet et le résultat final, durant lesquels 115 727 tests ont été effectués et 17 couleurs prises en compte…