Le Plan eau et les récentes sécheresses ont mis la consommation d’eau des robinets sur le devant de la scène. Les aérateurs, éligibles aux certificats d’économies d’énergie, ont été distribués par les collectivités locales, vendus sur Internet… Or, alerte Karelle Jallet, responsable des ventes France du leader mondial Neoperl, toutes les pièces proposées sont loin de se valoir et n’ont pas l’efficacité annoncée ! Interview.
Sdbpro – Neoperl, premier fabricant d’aérateurs au monde, a commencé à prendre la parole en France. C’est plutôt nouveau ?
Karelle Jallet – C’est vrai que nous sommes toujours restés en retrait par rapport à nos clients, les robinetiers. Mais avec le déploiement du Plan eau, qui a l’ambition de réduire de 10 % celle consommée en France, l’aérateur s’est retrouvé sous les feux de la rampe parce qu’il peut limiter les débits des robinetteries. Le problème, c’est que ce n’est pas toujours le cas : car il existe des « limiteurs » et des « régulateurs » de débit, mais peu de gens le savent en dehors des spécialistes de la salle de bains. D’ailleurs, en France, on parle souvent de « mousseur », un mot qui gomme l’aspect technologique de l’objet. Et en toute bonne foi, des aérateurs sont distribués ou vendus, qui ne réduisent pas les consommations d’eau et sont même susceptibles, selon le robinet, de les augmenter ! Pour les douchettes à main, c’est un peu pareil : on invite les consommateurs à remplacer la leur par un modèle hydro-économe, mais il ne l’est que par l’insertion d’un régulateur de débit au niveau du raccordement du flexible. Le remplacement de la douchette n’est donc pas nécessaire et en distribuant juste ce régulateur, dont le coût est très inférieur à celui d’une douchette, on pourrait équiper d’avantage de personnes et atteindre plus rapidement les objectifs de réduction des consommations d’eau. Il y a un vrai manque de connaissance sur ces sujets…
Qu’est-ce qui fait qu’un aérateur réduit la consommation d’eau ou l’augmente ?
Karelle Jallet – L’aérateur est un accessoire technique, du moins quand il fixe le débit à une valeur constante grâce à un joint torique qui se dilate et se contracte en fonction de la pression dans le circuit d’eau. Il permet alors, sans impact sur le confort, de réduire les débits d’usage jusqu’à 3,4 litres/min au lavabo, 5 litres à l’évier et 8 litres dans la douche, et les économies d’eau, notables, sont obtenues sans effort. Ce n’est pas le cas avec de simples limiteurs de débit.
Comment est-il possible que des aérateurs qui ne réduisent pas la consommation d’eau soient distribués ?
Karelle Jallet – Le secteur de l’eau réunit de nombreux intervenants, qui sont issus d’univers très variés. Le sujet est tellement vaste ! Ces acteurs, qui agissent en amont plus qu’en aval, ne savent pas qui nous sommes, pas plus qu’ils ne connaissent les industriels du secteur. Ils ne maîtrisent pas toujours les aspects techniques du sujet. Des appels d’offres sont donc émis, des dizaines de milliers d’euros dépensés pour acheter des aérateurs dont la fonction de réduction de la consommation n’est pas garantie ; mais aussi pour remplacer des douchettes complètes, alors qu’un simple régulateur de débit suffit à les rendre économes. Beaucoup de sites de vente en ligne se sont engouffrés dans ce secteur sans connaissances techniques particulières. Quand on sait que les usages domestiques représentent 15 % de la consommation globale d’eau, il y a un vrai enjeu !
Donc, on subventionne des produits qui ne répondent pas à l’objectif voulu ?
Karelle Jallet – Oui, alors que les CEE – certificats d’économies d’énergie –, à travers lesquels les aides financières sont distribuées, pourraient mettre en avant la technologie du régulateur en préconisant des débits idéaux, inférieurs aux débits d’usage actuels. Parce que si l’on remplace par un simple limiteur de classe Z (7,5-9 litres/min) l’aérateur à débit fixe d’un mitigeur récent, sa consommation peut augmenter jusqu’à 9 litres/min…. Alors qu’un régulateur à 3,4 litres/min, par exemple, sera efficace et aura un vrai impact sur la ressource.
Mais il n’existe pas de norme, de label… qui permettraient de guider les acheteurs ?
Karelle Jallet – Oui, il existe des normes, mais il n’y a pas de débit imposé en Europe, comme c’est le cas aux USA, en Chine, au Japon, au Moyen-Orient… Et il est facile pour un éco-délinquant de dire que l’aérateur est auto-régulé, c’est-à-dire à débit constant quelle que soit la pression…, puisque seuls des tests permettent de se rendre compte qu’il ne l’est pas. Si, en plus, le packaging est sympa et le discours efficace…
Puisque les aérateurs à faible débit existent, pourquoi ne sont-ils pas systématiquement intégrés aux mitigeurs mis en vente actuellement ?
Karelle Jallet – Pour le particulier, les économies d’eau commencent tout juste à devenir un critère d’achat. Il y a encore peu, un jet important était synonyme de confort. Les robinetteries lancées aujourd’hui ont des débits économes, de 4 à 5 litres/min, sachant qu’on a la technologie pour descendre à 3,4 litres sans perte de confort. En douche, c’est pareil, on a des hôteliers qui nous demandent déjà du 6 litres/min. Mais pour les gammes existantes, c’est difficile, parce que le simple changement de l’aérateur nécessite de renouveler toutes les certifications dans tous les pays de commercialisation ! Et ça, c’est compliqué, long et coûteux ! Mais il est certain que, dans un avenir proche, tous les mitigeurs mis en vente seront économes en eau…