Alors que le marché du meuble de salle de bains perd de la valeur depuis trois décennies, amputant les marges des (nombreux) fabricants qui le fournissent, la plupart se veulent confiants. Car le produit profite d’un large terrain d’expression, qui permet encore de susciter le désir des consommateurs. Sous réserve d’être visible à leurs yeux et d’offrir plus qu’un caisson et deux tiroirs.
La perte de valeur du meuble de salle de bains a débuté à la fin des années 1990, lors de l’arrivée sur le marché français du « meuble espagnol », terme générique désignant à la fois le produit et l’envahisseur. Il est vrai que le meuble-vasque ne se concevait alors que volumineux, hors de prix et classique, pour ne pas dire ringard, en tous cas pour certains consommateurs. A l’inverse, ce fameux « meuble espagnol » était non seulement paré des codes du haut de gamme – façades laquées blanc, plan en marbre de Carrare –, mais bon marché et compact avec sa vasque avancée. Ce fut un triomphe, d’abord en grande surface de bricolage (GSB), puis dans le négoce. A tel point que les fabricants français ont dû l’intégrer dans leur catalogue, en le faisant venir d’Europe de l’Est pour qu’il soit encore moins cher.
L’occupation de l’espace par les MDD
L’histoire se poursuit, mise au goût du jour. Désormais, les intrus sont les meubles sous MDD, fournis par certains industriels européens – ceux qui arrivent à tenir les prix demandés – ou venus d’ailleurs, par exemple de Chine. Devenues prioritaires dans les enseignes professionnelles, ces gammes courtes et standardisées, conçues pour positionner le négoce par rapport à la GSB, occupent les catalogues et squattent les salles d’expo. De même que les collections exclusives, qui veulent capter le consommateur mais compliquent la production, réduisant l’effet de volume pour les industriels et se substituant à leurs propres collections. Il n’empêche : les unes et les autres sont stratégiques pour eux. D’abord parce qu’elles sont déployées rapidement dans les salles, permettent d’évaluer facilement des volumes, donc le chiffre d’affaires correspondant, mais aussi parce qu’elles sont une porte d’entrée pour se faire référencer dans les enseignes.
Simplifier la lecture des composables
Ainsi, ce que gagne le distributeur en termes de marges, le fabricant le perd. D’autant que, même s’il s’aligne sur la GSB, le négoce n’en a pas le trafic et que, dans les showrooms, les places se font rares, limitées à deux ou trois pour les marques présentes. Et il suffit d’en perdre une pour voir son chiffre d’affaires reculer. Toutefois, être exposé n’est pas être vendu. « Dans les salles, les gens sont souvent livrés à eux-mêmes » et si la couleur ou la dimension exposée n’est pas à son goût, le consommateur passe son chemin. D’où l’importance de l’interpeller, avec des PLV notamment, bien que cela ne puisse suffire : si le meuble à 500 euros se vend tout seul, l’augmentation du panier moyen demande du savoir-faire et des arguments.
Or, « les baronnes » n’existent plus. Cette génération de vendeuses hors pair, payées à la commission, chez elles dans leur salle d’expo, assurant les référencements et rompues à la vente complexe des meubles composables, n’est plus. Elles ont été remplacées par des jeunes femmes – la profession est majoritairement féminine – qui disparaissent aussi rapidement qu’elles apparaissent : question de salaire, de difficultés (le métier est exigeant en termes de compétences), de contraintes horaires, de manque de considération… Alors que ces postes sont un maillon clé de la rentabilité et des marges, que les salles sont le meilleur outil de montée en gamme qui soit, « toute la ressource est mise sur l’installateur. » Ce qui fait dire à certains fabricants que le consommateur n’est pas la cible du grossiste, mais bien l’installateur qui, à moins d’être un spécialiste de la salle de bains, se contente volontiers d’un caisson sous MDD. Seuls les distributeurs indépendants semblent actuellement en mesure de vendre du meuble à plus de 2 000 euros.
Quoi qu’il en soit, ce turn over pèse particulièrement sur le meuble de salle de bains. « Les commerciaux passent leur temps à briefer les vendeurs-euses entre midi et deux », explique un industriel. Car une fois formés, ceux-ci deviennent des ambassadeurs des marques. D’où l’incessant travail des industriels sur les tarifs, catalogues et documentations afin de simplifier les compositions, mais aussi sur la réduction des délais de livraison des produits à la contremarque, sur les services, les partenariats… « Si tu suis, tu récoltes les miettes », commente l’un d’eux, un brin désabusé.
Ouvrir de nouveaux circuits de distribution
Mais travailler sur le processus de vente et sur l’offre produits ne suffit pas. Tous les fabricants le savent : ils doivent faire exister leurs marques et parler aux consommateurs. D’ailleurs, celles-ci commencent à se faire plus présentes sur les meubles, y compris ceux destinés au chantier. Néanmoins, il faut aller plus loin. Même « si les distributeurs ne sont pas plus riches que nous, avec moins de 3 % de marges après impôts difficile d’investir », y compris d’ailleurs sur l’outil de production.
Cependant, il y a la vente en ligne qui, en plus d’assurer la mise en avant de la marque, constitue un nouveau canal de diffusion pour les industriels. Tous y réfléchissent ou sont en train de la développer. Plus généralement, au-delà de l’e-commerce, chacun va là où il n’est pas encore, passant par-dessus des limites autrefois fixées : vente en ligne, donc, mais aussi GSB, prescription, négoce carrelage, bainistes…, jusqu’à la vente directe pour certains.
Condamner à créer
Si le made in France est un levier auquel les producteurs hexagonaux croient de plus en plus, c’est aux enseignes qu’il revient de le mettre en avant. Ce que Leroy Merlin fait très bien, qui a créé un onglet spécifique sur son site, par lequel on accède immédiatement à l’offre #MeublezVousFrançais.
Cela étant, pour ne pas devenir des sous-traitants de la distribution, les industriels disposent d’une arme, l’innovation, même si la fenêtre de tir se réduit en même temps que la valeur du marché. Tandis que la réduction des coûts sur les matières premières et les achats a globalement déjà été réalisée (panneaux non hydrofuges, épaisseur réduite…), la différenciation ne devient possible que sur des détails (poignées, couleurs, matériaux, effets de matières, jeux de mat/brillant…), alors même que des champs de progrès existent, qui pourraient disrupter le caisson, éloigner le meuble du point d’eau, multiplier les concepts de rangement, réinventer les modules complémentaires… « On n’a pas vraiment réfléchi au rangement dans la salle de bains et on a créé un marché qui n’est pas assez lucratif pour être créatif… »
Plus que le négoce, la GSB, en particulier Leroy Merlin, est apte à prendre des risques et à parier sur l’originalité. Elle sait user de la capacité des fabricants à anticiper ou créer les tendances, et effectue ses lancements sur Internet avant de les prolonger en magasin lorsque le résultat est concluant. Comme la fréquentation est soutenue, ici comme là, les tests sont rapides et efficaces. Ainsi, la GSB donne la valeur des premiers prix, toujours inférieurs à ceux du négoce, et s’active pour obtenir des paniers moyens supérieurs.
Hier, le meuble-vasque, trop volumineux et classique, n’était adapté qu’à une certaine clientèle. C’est aujourd’hui à nouveau le cas du best-seller du marché, le meuble de 120 cm à deux tiroirs, esthétiquement pauvre, à prix minimaliste, poussé par la distribution comme par les fabricants, qui vont vers la sécurité avec des collections censées se vendre toutes seules dans les showrooms, contribuant eux aussi à la standardisation du marché. Et si le consommateur était prêt à payer un peu plus pour avoir un peu mieux ?
Photo d’ouverture : au salon du Meuble de Milan, Andrea Mariani ©A13 Studio.
article très juste ! un bon résumé de la situation …