Le premier numéro de Flush sera en kiosque le 19 novembre, date de la journée mondiale des Toilettes. Tout un symbole pour ce magazine sous-titré « Toilettes, Culture, Société ». Aude Lalo, sa fondatrice, a l’ambition de casser le tabou, plus vivace que jamais. Car ce dont on ne parle pas, nous dit-elle, on ne peut l’améliorer…
Sdbpro.fr – Lancer un magazine, de surcroît sur les toilettes, c’est « culotté ». Quand et comment vous est venue cette idée pour le moins originale ?
Aude Lalo – Aux toilettes, bien entendu ! A l’origine, je tenais un blog amateur de critiques de toilettes : l’idée était de publier des billets d’humeur sur les W.-C. d’établissements recevant du public : restaurants, musées, cinémas, bars, transports, etc. Pour ce faire, une recette simple : des constats objectifs et un ton décalé pour des dizaines d’articles. Le blog faisant parler de lui, et grâce à des alertes d’actualité spécialisée, petit à petit je me suis rendu compte de l’impact que les W.-C. avaient sur le quotidien de tous et que la gestion des toilettes était extrêmement révélatrice de leur environnement, à différentes échelles : l’habitat, la ville, le pays. Se soulager est un besoin vital qui cristallise de nombreux enjeux sociétaux : santé, hygiène, accessibilité, politique, écologie, économie, urbanisme, mixité, etc. Or on constate un manque total d’information sur ce sujet. Pourquoi est-il encore de nos jours si tabou ? Ce dont on ne parle pas, on ne peut l’améliorer. Flush naît donc après quatre années de maturation et propose de l’information généraliste et du divertissement au lecteur grand public, ainsi qu’un canal de communication sur une niche encore inexploitée pour les annonceurs.
En France, aucun support de presse n’avait jamais été consacré exclusivement à ce sujet. A votre connaissance, existe-t-il des précédents dans la presse internationale ?
Aude Lalo – Il existe des publications one shot comme Dirty Furniture, mais à ma connaissance, pas dans cette formule de magazine de société. Après, j’ai fait mes recherches dans les langues que je comprends, c’est-à-dire l’anglais et l’italien. Donc si des Japonais l’ont fait, je suis passée à côté ! Cela dit, Jane Birkin a eu vent de Flush et semble dire qu’une publication de ce genre a existé au Royaume-Uni… To be continued…
Puisque Flush se donne pour mission « d’observer la société par la lunette des toilettes » et pas seulement les W.-C. en tant que pièce ou objet, comment avez-vous construit le magazine ?
Aude Lalo – Avec du recul et de la patience :-). Beaucoup de thèmes liés aux toilettes sont transversaux : écologie, politique, etc. Nous avons donc structuré le magazine en quatre parties distinctes :
♦ L’entrée en matière, assez classique, qui reprend les brèves, événements et actualités plus chaudes (mais pas bouillantes non plus, Flush étant un trimestriel).
♦ WC-RAMA, c’est la partie dédiée à « l’objet » toilettes. On y trouve un focus sur un savoir-faire, les dernières tendances, des portraits.
♦ La partie Société présente des questionnements d’actualité. Elle comprend notamment un dossier de fond, une rubrique santé… Dans ce premier numéro, nous nous sommes intéressés à la situation des exilés en France, sous l’angle de l’hygiène donc.
♦ Enfin, le cahier Culture, où l’on s’intéresse notamment au travail d’un artiste en lien avec le sujet. Flush interroge également une personnalité sur son actualité et son rapport aux toilettes et la met « Sur le trône » ; c’est la surprenante actrice Laetitia Dosch qui s’est prêtée au jeu pour ce premier numéro.
Lancer un magazine papier en 2018, cela peut sembler compliqué. Quel est votre modèle économique ?
Aude Lalo – En effet, je regrette que la presse n’ait pas bonne presse ! Certaines maisons d’édition se portent pourtant très bien et c’est le cas surtout des titres qui se différencient par leur singularité, proposant une forte valeur ajoutée sur le fond et sur la forme, créneau sur lequel Flush se positionne.
Flush reçoit trois types de revenus : les ventes au numéro (en kiosques et sur Internet), les ventes par abonnement (indispensables pour la trésorerie et pour le lectorat qui n’a pas accès aux kiosques) et la publicité. Certains m’ont interrogée à ce propos : je leur réponds que bien sûr, c’est un choix financier, mais pas seulement : le parti pris de Flush étant de « dé-tabou-iser » les toilettes, il est pour nous pertinent de mettre en valeur des produits et savoir-faire dont le grand public n’a généralement pas connaissance. Par ailleurs, nous proposons à nos annonceurs de personnaliser leur message dans l’univers de Flush : ainsi, à la lecture, le visuel est moins perçu comme une « contrainte » que comme un contenu éditorial à valeur ajoutée s’intégrant parfaitement à l’ensemble du magazine.
Vous avez fait le choix d’une diffusion en kiosques. A quel lectorat s’adresse Flush ?
Aude Lalo – En effet. C’est un mode de vente onéreux mais auquel je tenais, principalement parce que je souhaite inscrire Flush dans son écosystème de la presse, soutenant ainsi l’activité des marchands de journaux, et aussi parce que stratégiquement cela confère au magazine une visibilité et une notoriété bien plus rapides que l’abonnement seul. Flush s’adresse à un grand public mixte entre 18 et 45 ans, intéressé par les faits de société et amateur de publications graphiques et décalées. On trouvera d’ailleurs le magazine en kiosques dans le rayon « news/opinion/société ». Ce lectorat dispose d’un bon pouvoir d’achat. Flush est une publication haut de gamme, qui sera vendue au prix de 6,90 €.
En tant que spécialiste de la filière salle de bains et sanitaire, nous constatons que les tabous entourant les toilettes sont loin d’être levés, persistent et se renforcent même paradoxalement chez la jeune génération. Fond, forme, ton…, de quelle manière le contenu de Flush entend décomplexer et rendre séduisante l’information ?
Aude Lalo – En mettant les pieds dans le plat ! Flush se positionne comme un outsider de l’information en revendiquant ce parti pris d’être entièrement dédié aux toilettes. Mais pas seulement : l’identité du magazine est construite sur des valeurs très fortes d’égalité, de créativité, de tolérance et d’irrévérence, et cela s’exprime dans des contenus plus ou moins sérieux, parfois caustiques mais jamais vulgaires. En créant cette pop culture des toilettes, l’idée est tout de même d’élever le débat. Mais l’humour a toute sa place dans notre ligne éditoriale. D’autre part, l’univers graphique de Flush fait la part belle aux illustrations originales pour accompagner ce changement de regard.
Campagne de crowdfunding, diffusion d’un trailer sur les réseaux sociaux… Quels sont les bons leviers pour lancer un magazine « décalé » et fédérer une communauté ?
Aude Lalo – J’aimerais avoir la réponse, ce serait la clé du succès assuré pour Flush ! En tout cas, ce que j’ai remarqué, c’est que les gens sont tout de suite interpellés lorsque je leur explique le concept de Flush. Certains comprennent immédiatement le propos et deviennent ambassadeurs ; d’autres auront besoin de tenir le premier numéro dans leurs mains pour en percevoir toute la substance. Quoi qu’il en soit, le sujet fait parler ; Flush véhicule de l’authenticité et de la fraîcheur qui semblent plaire. La vidéo était pour nous une étape incontournable, justement pour concrétiser le changement de perspective et le positionnement décalé du magazine. C’est d’ailleurs un exercice qui me plaît beaucoup (ayant commencé ma vie professionnelle dans l’audiovisuel) et je gage que vous en verrez beaucoup d’autres !
Photos : Camille Brasselet.