Artisan sellier passé maître dans l’art de la customisation, Patrick Bigeyre façonne des sièges en cuir sur mesure qui font la joie des bikers en quête d’un supplément de confort et de style, mais aussi des pièces de maroquinerie iconoclastes, des tabourets de tatouage… et des motos-toilettes uniques en leur genre !
Ce n’est pas tout à fait par hasard si les très ironiques créations de Patrick Bigeyre associent l’univers de la moto à celui des WC : son père, plombier de profession, l’a initié aux arcanes du métier d’installateur, lui a « appris à manier les bouteilles à souder, à bidouiller et à mettre les doigts dedans. » Ensemble, dans le chantier de la maison familiale, ils ont même « tiré les câbles pour le chauffage et les sanitaires. » Pourtant, à cette époque déjà, le fiston préfère les « enrouler » (accélérer en tournant la poignée, dans le jargon moto)…
Fasciné par les cylindrées, « les shoppers et les vans décorés à l’aérographe », l’adolescent rêve de road trips à la Easy Rider, Behind the Law et autres Hells Angels on the Wheels… Et voilà comment, l’imaginaire nourri de ces chevauchées cinématographiques – et à défaut de pouvoir se faire une place dans la filière saturée de peintre-carrossier – l’adolescent s’oriente, pour le meilleur et les virées sauvages, vers un apprentissage de sellier-garnisseur…
Chemin faisant, son CAP en poche, celui qui réfute l’étiquette d’artiste et se voit plutôt comme un créatif, exerce ses talents dans la restauration de sièges et de selles, qu’il réalise désormais à la demande, en parallèle de son travail auprès d’un tapissier sur meubles. Un seul leitmotiv : « faire ce qui [l]’amuse ». Dans les rassemblements de bikers, ses créations au look Rock’n’roll (dont ses fameux sacs en forme de tête de mort, lancés en 2012) se font vite un nom, estampillées d’une marque déposée qui joue avec malice la carte de la provocation : SkinAss (la peau des fesses, en français).
Quitte à œuvrer sans rougir pour le bien-être des fessiers en plein raid, pourquoi ne pas justement se pencher avec humour sur le confort aux toilettes ? Le « délire » initial (un simple siège posé sur une cuvette) devient un concept élaboré de « moto-chiottes, en rigolant du jeu de mots, car plus c’est bête, plus ça marche. » Fort de ce constat à la Rémi Gaillard, Patrick Bigeyre est bien décidé à « aller jusqu’au bout : au début j’ai voulu faire une cuvette de toilettes selle de moto par rapport à l’expression aller à la selle, puis une fois la cuvette en cuir faite, j’ai trouvé dommage de ne pas y rajouter les toilettes puis par la suite j’ai poussé le concept à fond en créant une moto entière pour avoir un ensemble cohérent. »
Si le premier prototype présentait un réservoir sculpté dans de la mousse puis habillé, les suivants utilisent des pièces de « récupération chinées à droite à gauche » ou spécialement fabriquées pour constituer la « carcasse ». De ces engins pétaradants qui créent le buzz – jusqu’au Japon ! – sur les stands des salons de tatouages et autres conventions motorisées, il en a déjà vendus quatre, avec comme fans de la première heure un amateur d’art contemporain parisien, puis un belge, un italien… Le dernier en date est un plombier alsacien qui expose fièrement le fol engin dans son bureau et invite, goguenard, ses clients à s’assoir dessus (Didier Meyer, C.D.S., entreprise de vente et d’installation en chauffage-sanitaire, à Reguisheim).
Croisement insolite entre une cuvette et une bécane dotée d’une vraie-fausse plaque constructeur, sa 5e moto-chiottes – un Chiot-pper – est elle aussi pensée pour « aller à la selle »… Celle-ci est à deux places, un détail qui se veut sarcastique à souhait puisque cette configuration inédite permet d’avoir un « ami auprès de soi quand on est dans le besoin ». Sur ce modèle, « il y a des repose-pieds pour le pilote et le passager, et pour la chasse d’eau (fictive), on peut actionner la pédale du démarreur au kick ou avec le levier de vitesse (la commande suicide, dans le jargon de motard) ». Dès que cette pièce unique numérotée sera vendue (ce qui ne saurait sans doute tarder, avis aux amateurs), Patrick Bigeyre se lancera comme à son habitude dans une autre réalisation. Dans sa tête, se pressent déjà les ébauches d’un « scooter en porcelaine façon Vespa (plus facile à enjamber qu’une moto, le pantalon baissé) avec le réservoir de chasse en guise de top-case, un urinoir pour bar, en forme de réservoir de moto, un side-car avec un bidet à la place du panier »…
Si ses motos-chiottes ne sont pas fonctionnelles, elles pourraient tout à fait l’être, pour faire le show dans des salons ou des showrooms… Afin de « réaliser une moto bagger (style Harley-Davidson) avec phares qui marchent, musique… évacuation, arrivée d’eau, le tout sur un podium », Patrick Bigeyre est d’ailleurs en quête d’un « sponsor, dont le logo serait bien sûr apposé sur une peinture déco ». A bon entendeur… Dans l’univers de la salle de bains et du sanitaire, et plus particulièrement celui de la robinetterie, sa fantaisie débridée a déjà fait mouche : c’est lui qui, avec la complicité de Thierry Vivier, directeur marketing de Presto, avait revêtu de cuir et d’un tissu panthère au toucher de velours le nouveau Presto Nova, devenu ainsi l’un des objets le plus instagrammés (et caressés) du salon ISH 2019…
Photos d’ouverture : Laurent Barranco.