A Los Angeles, Marta, galerie au confluent de l’art et du design, consacre une exposition à un accessoire qui ne se montre guère d’ordinaire : le dérouleur de papier toilette. Un sujet insolite qui se prête à d’intéressantes digressions formelles… et sert de prétexte à un débat sur l’impact environnemental de ces rouleaux hygiéniques, mais pas écologiques, dont nous ferions, surtout les américains, (trop) grande consommation.
Dans la plupart des pays, le confinement a braqué les projecteurs sur une denrée dont le monde n’est manifestement pas résolu à se passer, provoquant des ruées dans les supermarchés : le papier toilette. Depuis, le spectre de la pénurie s’est éloigné, mais l’expérience a mis en lumière nos réflexes de consommation les plus ancrés et symboliquement ouvert la porte des toilettes, ce lieu encore si tabou. De là à porter le sujet sur le devant de la scène artistique, l’idée peut surprendre. Et là est tout l’enjeu de l’exposition de groupe Under / Over : étonner, susciter l’échange, puis le débat et la prise de conscience…
En collaboration avec la marque Plant Paper qui commercialise aux Etats-Unis des rouleaux écoresponsables dans lesquels il n’y a « ni arbres ni toxines » (mais du bambou), la cinquantaine d’œuvres réunies pour l’évènement questionnent au-delà de l’esthétique et de la fonction. En réinventant avec malice un objet des plus usuels, chacune de ces propositions rappelle aussi combien, à sa manière, « la salle de bains est un lieu de politique sociale et environnementale. »
D’une même voix, la galerie et le fabricant-militant affirment en effet que la production d’un rouleau de papier à base de fibres de bois ne nécessite pas moins de 140 litres d’eau. Une recette gourmande en ressource naturelle qui comprend aussi 3,7 litres de produits chimiques, parmi lesquels de « l’eau de Javel, du formaldéhyde et d’autres agents cancérigènes qui pénètrent dans le corps par des micro-coupures, provoquant des hémorroïdes, des infections à levures et des infections urinaires… » Et Plant Paper de rappeler sur son site cet axiome à faire pâlir d’angoisse n’importe quel chaland en passe d’essuyer son séant : « plus le papier à base d’arbre est moelleux et blanc, plus il contient d’eau de Javel et de formaldéhyde »…
Si la formule, « marketing de la peur » aidant, a tout de la charge culpabilisante, il est vrai qu’outre-Atlantique le papier recyclé fait infiniment moins recette qu’en Europe. Tandis que le Vieux-Continent en consomme environ 40 % aux toilettes, Greenpeace avance que jusqu’à 98 % des rouleaux made in USA seraient encore issus de l’abattage de forêts. Un terrible écueil qui a inspiré à Allen Hershkowitz, chercheur au Natural Resources Defence Council, une organisation américaine non gouvernementale agissant pour la protection de l’environnement, cette punchline percutante, qui a fait depuis le tour du monde : « Fabriquer du papier hygiénique en bois vierge est bien pire que de conduire un Hummer en termes de pollution et de réchauffement climatique. »
Ce qui est doux pour nos fesses ne l’est sans doute pas autant pour la planète… Dans sa communication, la galerie Marta ne se prive pas de pointer du doigt le leader du secteur et « les plus grosses entreprises [qui] déciment l’environnement depuis des décennies en transformant la pulpe des vieux arbres en un produit que la plupart des gens utilisent sans réfléchir pendant quelques secondes chaque jour », ajoutant que « tout espoir de renverser les effets de cette convention dépend de la modification de notre relation au papier toilette et à ses mécanismes de distribution. « Under / Over » accueille un groupe diversifié de participants internationaux, ce qui aboutit à une exposition qui fusionne la fonction et le plaisir, valorisant un matériel apparemment humble avec lequel nous interagissons invariablement tous les jours et, ce faisant, provoquant peut-être un changement subtil dans ce domaine. » Une manière habile de suggérer qu’au bout de ces rouleaux si originaux se cache l’arbre qui (nous) gâche la forêt…
Ainsi, participerions-nous tous impunément à la déforestation, avec les conséquences que l’on devine sur l’écosystème ? A l’échelle du monde, si l’on se base sur les chiffres fournis par le Worldwatch Institute et le WWF (qui englobent aussi les papiers absorbants, mouchoirs et serviettes en papier dans leur décompte), 27 000 arbres seraient engloutis chaque jour dans le fond des cuvettes (ou des poubelles, donc), soit au cumul près de 99 millions par an. Les américains détiennent le record absolu en matière de consommation, avec 12,7 kg par an et par personne, soit l’équivalent de 141 rouleaux. Pour comparaison, d’après les données mises en ligne par le Planetoscope, sur la même durée, un européen consommerait 120 rouleaux pour un poids total de 13 kilos (ce qui représente 5,5 millions de tonnes de fibre de papier-toilette et 22 milliards de rouleaux rien que pour la CEE) alors que, dans l’Hexagone, la moyenne serait légèrement inférieure, avec 103 rouleaux de 60 g par an, soit 6,2 kg.
Exposition Various Artists, Under / Over
♦ Exposition de groupe, à la galerie Marta (1545 W Sunset Boulevard, Los Angeles, Californie) et en ligne sur son site Internet, du 10 septembre au 1er novembre 2020, où l’on peut découvrir en détail (et pourquoi pas acquérir) les œuvres, et leurs auteurs respectifs.
♦ Artistes, designers et studios participants : 1934, A History of Frogs, Joseph Algieri, Another Human, AOO Studio, Ryan Belli, Erik Benjamins, BNAG, Marco Campardo Studio, Daniel Castillo, Chen Chen + Kai Williams, Bradley Duncan, Daniel Eatock, Dean Edmonds, Max Enrich, Klas Ernflo, Martino Gamper, Ross Hansen, Tyler Hays (BDDW), Brooke Intrachat, Serban Ionescu, Sam Jayne, Doug Johnston, Pat Kim, Carlos Little, Lland, Sabine Marcelis, Nifemi Marcus-Bello, Michael Marriott, Theo Martins, MOS Architects, Matt Olson (OOIEE), Taidgh O’Neill, Fredrik Paulsen, Jorge Penadés, James Sterling Pitt, Playlab, Ryan Preciado, Alex Reed, Adrien Rovero Studio, Mansi Shah, Peter Shire, Spiritual Objects, Jonah Takagi, Terremoto, Three Sheep, Brendan Timmins, Visibility, Waka Waka, Kristen Wentrcek + Andrew Zebulon, WeShouldDoItAll, Wrk–Shp, and Zaven.
Photos : Courtesy of Marta, Los Angeles.