La redéfinition du modèle de la consommation opérée par l’engouement actuel autour du « faire » coïncide avec l’ouverture d’un nouveau marché. Cruciales pour le secteur du bricolage, les conclusions de la première éditions de L’Observatoire du « faire » appellent à des stratégies de marketing centrées sur l’expérience client.
Publiée en février dernier par l’Observatoire société et consommation (L’Obscoco), avec le soutien de la Maïf, la consultation menée à la fin de l’année 2016 mesure l’engagement des Français dans un large éventail de loisirs actifs. Établissant des corrélations entre l’engagement des pratiquants et leur sentiment subjectif de bien-être, l’étude insiste sur le potentiel économique des nouvelles attentes des consommateurs.
Qu’est-ce que le « faire » ?
Bricolage, fabrication d’objets, jardinage, cuisine, écriture, scrapbooking, pratique sportive, réparation d’engins mécaniques, montage vidéo, en passant par l’engagement politique et la pratique religieuse : le spectre du « faire » est large. Selon les critères établis par L’Observatoire, l’expression désigne toute activité exigeant une certaine forme d’engagement (énergie physique, créative ou psychique) des pratiquants et mobilisant des compétences. 24 activités de loisirs actifs ont ainsi été présélectionnées pour mesurer le « taux de pénétration » que rencontre le « faire » chez les Français, en matière de diversité, de fréquence et de passion suscitée. Pour donner quelques chiffres : 93 % des 5 033 personnes interrogées déclarent avoir pratiqué une des activités présélectionnées au moins une fois au cours des 12 derniers mois, 87 % affirment pratiquer une activité au moins 5 fois par an et 79 % se disent littéralement passionnés par au moins une de ces activités. Les Français pratiquent en moyenne 5,8 activités occasionnelles. En tête de liste, les jeux de société, le bricolage, le jardinage, la cuisine et le sport interviennent dans la vie de plus de la moitié des Français.
Le cercle vertueux du « faire »
Le sentiment de réalisation personnelle, l’expression de sa personnalité et la valorisation de soi figurent parmi les principaux bénéfices rattachés à l’exercice des loisirs actifs. Plus encore, les adeptes du « faire » considèrent qu’il densifie leur vie sociale et, générant de nouvelles rencontres, qu’il contribue à l’élargissement de leur réseau. À partir des résultats de l’enquête, L’Observatoire du « faire » établit une corrélation entre le degré d’engagement dans le « faire » et le niveau de bien-être des individus : « plus on pratique, plus on en tire de la satisfaction, et plus on désire pratiquer davantage, la progression du bien-être étant à la clé du processus. » Par ce cercle vertueux, le « faire » constitue une exception à la « loi de l’utilité marginale décroissante » connue des économistes, selon laquelle « plus on consomme d’un produit ou d’un service, plus l’utilité (ou les “plaisirs”) qui en est retirée décline. »* En d’autres termes, le « faire » pourrait bien déloger de leurs centralités les valeurs dominantes de l’hyperconsommation au profit de nouvelles formes de gratifications personnelles, relatives à la réalisation de soi et aux savoir-faire.
Vers des stratégies commerciales centrées sur l’expérience client
Or, si la mutation du mode de la consommation diagnostiquée par l’Observatoire du « faire » révèle les limites d’une conception du bonheur centrée sur l’« avoir », elle ne va pas jusqu’à encourager le rejet en bloc de toute forme de consommation. Le directeur scientifique de l’ObSoCo, Philippe Moati, tient à préciser que les conclusions de l’enquête appellent plutôt à une redéfinition des stratégies commerciales autour de l’expérience client : « Le succès des approches « expérientielles » et « servicielles » témoigne d’une certaine prise de conscience de l’intérêt de déplacer le centre de gravité de la relation marchande de l’« avoir » à l’« être ». Autrement dit, ne pas se contenter de « faire la vente », mais se soucier de faire vivre au client – au travers des biens et/ou des services qui lui sont vendus – une « expérience », c’est-à-dire un moment valorisé, parfois mémorable, contribuant à transformer la personne. »** Leroy Merlin est sans doute l’entreprise du secteur du bricolage qui démontre avoir le mieux enregistré cette leçon. Le recentrement de sa stratégie publicitaire autour de l’idée de « projet », ses nouveaux services d’accompagnements, offres de cours en ligne et ateliers sont autant de tentatives d’engager le client au-delà du moment de l’achat. C’est l’adhésion à un univers qui est sollicitée par l’image de marque, qui se présente comme vecteur de développement personnel.
Un marché à alimenter
En extrapolant à partir du taux de pénétration des activités prises en compte par l’étude chez les participants, L’Observatoire évalue le marché actuel du « faire » à hauteur de 95 000 milliards d’euros. Plusieurs résultats de l’étude laissent présager l’accroissement de cet engouement. En effet, 22 % des pratiquants du « faire » comptent intensifier leur pratique et 47 % d’entre eux soutiennent qu’ils aimeraient pouvoir s’y consacrer davantage. Bien avant le manque de moyens, le manque de temps et l’accès limité à l’acquisition des compétences satisfaisantes sont les obstacles principaux rencontrés par les tenants des loisirs actifs.
Pour vaincre ces obstacles, l‘Observatoire encourage non seulement les entreprises à refonder la relation commerciale avec le client, mais invite les politiques publiques à faire la promotion du « faire », de sorte que chacun puissent découvrir ses dispositions et détenir les moyens de développer ses talents. En somme, en regard du poids économique de l’engouement autour du « faire », les campagnes de marketing qui prendront acte des mutations en cours seront davantage portées à animer des communautés de pratiquants, offrir des services d’accompagnement et à faire du client le « coproducteur » de sa consommation.
* Focus L’Observatoire du « Faire » l’ObSoCo-Maif
L’engagement des Français dans les loisirs actifs – Le « Faire » : nouvel horizon de la consommation, février 2016.
** Actualités de l’ObSoCo [en ligne], Philippe Maoti, « L’observatoire « FAIRE » L’Obsoco-MAIF » [consulté le 24/10/2016].