L’analyse par seuils et ses conséquences stratégiques
Selon Emmanuel Zilberberg, quand on baisse le prix, il devient toujours plus difficile de conserver la marge et le chiffre d’affaires ; ainsi, l’entrepreneur qui baisse le prix se met au service du chiffre d’affaires, alors que celui qui l’augmente se met au service de la marge.
Par ailleurs, si les coûts fixes sont vraiment fixes, il apparait contradictoire de parler d’économies d’échelle. L’objectif pertinent est bien la marge et non le coût.
Emmanuel Zilberberg a conçu un modèle de simulation qui permet, dans la majorité des secteurs d’activité, d’évaluer les conséquences d’une modification du prix sur les autres paramètres : volume, marge, chiffre d’affaires… Et ce dans le but d’obtenir une croissance rentable. Il préconise d’utiliser deux indicateurs :
♦ le SCAC ou seuil de chiffre d’affaires constant : cet indicateur exprime l’accroissement de volume théorique qu’il faut obtenir quand on baisse le prix, afin de maintenir un chiffre d’affaires identique ; il exprime également la diminution de volume prévisible et acceptable si l’on choisit au contraire d’augmenter le prix.
♦ le SRC ou seuil de rentabilité constante : cet indicateur exprime la variation de volume nécessaire pour conserver la marge quand le prix évolue.
En utilisant ces indicateurs, on constate que baisser le prix de 10 % implique une augmentation de 11 % du volume pour conserver le même niveau de chiffre d’affaires, mais détermine en revanche une baisse de 20 % de la marge. Autrement dit, si l’on veut conserver la marge, il faut doubler le volume.
Au contraire, si l’on augmente le prix de 10 %, on conserve le niveau de marge, en tolérant une baisse de 10 % du volume.
Conséquences stratégiques
L’utilisation des seuils SCAS et SRC permet d’imaginer plusieurs scénarios, à partir de la formule définie par Emmanuel Zilberberg (cf notre illustration). Précisons toutefois que les simulations pratiquées ne peuvent intégrer les évolutions des prix du marché, lesquelles dépendent non d’une décision « prix » de l’entrepreneur (variable endogène), mais de l’élasticité demande/prix (variable exogène). Cette dernière est du reste non prévisible.
L’enseignement à tirer des travaux d’Emmanuel Zilberberg est assez limpide. Quand on baisse le prix, on est certain d’augmenter le volume et d’obtenir ainsi une possibilité de croissance, mais sans garantie de profitabilité. Si on augmente le prix, le chiffre d’affaires va mécaniquement diminuer mais la marge va être améliorée et favoriser la croissance. Il apparait que quand on baisse le prix, il devient plus difficile de conserver sa marge et son chiffre d’affaires ; et pour obtenir néanmoins une croissance profitable, il faut un accroissement de volume considérable.
Comme il est plus difficile de conserver sa marge que son chiffre d’affaires, il est plus intéressant de se mettre au service de la marge en augmentant le prix, que de se mettre au service du chiffre d’affaires en le baissant.
Une problématique très actuelle
Ce que nous dit Emmanuel Zilberberg suggère quelques réflexions.
La mondialisation a été l’auxiliaire d’une baisse généralisée et continue des prix dans de nombreux secteurs d’activité, y compris dans ceux où la production n’était pas délocalisable. Fournir des produits de moins en moins chers (quel que soit le moyen) est considéré comme un avantage certain pour le consommateur. Mais jusqu’à quel point ? Même en supposant que l’on ne puisse descendre en dessous d’un certain niveau de qualité (ce qui n’a rien d’évident), l’expérience montre que la baisse continue du prix dévalorise l’image du produit. Pour démontrer le contraire, le matériel informatique ou numérique est souvent cité en exemple : les prix baissent alors que les performances augmentent. On oublie toutefois de mentionner que cet avantage réel ne s’obtient qu’au prix d’une obsolescence accélérée, qui confine maintenant au gaspillage.
Nous observons aussi que chaque baisse de prix provoque une riposte, laquelle conduit à éliminer des coûts fixes en externalisant certaines activités qui vont être regroupées au sein d’entités spécialisées et concurrentes, soumises à la même pression, ce qui les incitera à comprimer leurs coûts salariaux, se dévalorisant ainsi à leur tour et dévalorisant à la fois le travail (d’autant plus qu’il sera peu qualifié) et la personne qui l’exécute. Une baisse continue des prix se traduit alors par une destruction de valeur, ce qui n’est pas le cas d’une stabilité des prix, même à un faible niveau. Pierre Main
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