L’affaire semble entendue : une vague d’hygiène va déferler sur la salle de bains post-Covid, qui sera désinfectée et désinfectante. Mais si celle-ci est amenée à évoluer, en particulier dans le neuf, nous prédisons que, plutôt qu’hygiénique, elle sera écologique et deviendra le lieu des rendez-vous santé avec soi-même. Regards croisés.
La salle de bains que nous connaissons, qui a environ 125 ans, n’a guère changé depuis son apparition. Au fil du temps, elle a gagné en confort (technique), mais perdu en surface et en lumière naturelle. Car plus que les besoins et désirs des habitants, ce sont les normes et réglementations (thermique, incendie…) qui, combinées aux exigences de rentabilité des promoteurs, transforment les logements, notamment collectifs [1]… Si la loi sur l’accessibilité a, par exemple, permis son agrandissement, voire l’intégration du lave-linge, il n’est pas exclu que la récente obligation de la douche à zéro ressaut soit fatale à la baignoire. Mais d’autres facteurs poussent à une réforme de la salle de bains dans le neuf, notamment l’habitabilité au regard du Covid-19, la nécessité d’économiser l’eau et l’énergie, la digitalisation de la santé, ainsi que les aspirations des acheteurs, devenus sans aucun doute plus exigeants.
Le choc du Covid-19
Selon un article du Monde daté du 17 janvier 2021 [2], le logement post-Covid s’ouvre sur une « entrée protectrice », une sorte de « sas sanitaire » qui protège la « maison-sanctuaire ». Dans ce lieu intermédiaire entre le dedans et le dehors, on quitte ses chaussures et vêtements contaminés, on se lave les mains, on réceptionne les colis et objets venus de l’extérieur dans un casier à double accès… Le séjour est, lui, multifonctionnel, « compartimenté », aisément modulable pour permettre de travailler, de faire l’école, de pratiquer la gymnastique… La cuisine, du fait de la fermeture des restaurants, « reprend du service », s’avérant « essentielle », et la chambre devient une alcôve intime qu’il convient de sacraliser, un lieu où l’on s’isole de la vie de famille. Quant à la salle de bains, poursuit l’article du Monde, elle « pourrait bien ressembler à des toilettes d’aéroport, avec du sans contact et du virucide qui coule à flots… »
Cette vision d’une salle de bains post-Covid contaminée et contaminante, donc à assainir en continu, est loin de faire l’unanimité. Ainsi, l’architecte espagnol Moisés Royo, fondateur de Muka Arquitectura [3], estime que la salle de bains telle qu’elle existe doit disparaître et essaimer dans plusieurs pièces de la maison. Il milite pour une séparation matérielle de l’hygiène des mains et du corps, donc du lavabo et de la douche/baignoire, afin de recentrer ces dernières sur le bien-être. Il est d’avis que « nous allons redécouvrir le lavabo », qui va s’installer « dans des endroits différents, comme l’entrée, la salle à manger, près des chambres… »
Multiplier les points d’eau pour préserver la maison de toute contagion ? Arik Levy, designer (THG, Kaldewei, VitrA…) [4], ne partage pas ce point de vue, considérant que « se laver les mains est une question d’éducation, de pédagogie… Rajouter un ou des lavabos dans la maison, où il sont déjà nombreux, ne sert à rien sinon à multiplier les points de consommation… »
La pression de l’écologie
Car, pour Arik Levy, l’écologie est plus que le besoin d’hygiène susceptible de faire évoluer la salle de bains, ne serait-ce que parce que les jeunes générations en sont imprégnées. On peut toutefois noter que l’une et l’autre se rejoignent avec l’électronique, qui permet le sans contact – même si l’intérêt de ce dernier dans l’habitat reste à démontrer – et, surtout, le contrôle des consommations d’eau et d’énergie, grâce à leur affichage sur les robinetteries, les douchettes… Savoir quel volume d’eau s’écoule de la douche, du lavabo ou de la baignoire est un préalable à toute stratégie d’économies. Pour Arik Levy, l’écologie est à la base de la salle de bains de demain.
Le designer est donc anti-baignoire par principe, parce qu’elle « nécessite beaucoup d’eau, prend de la place et n’est que peu utilisée », plus indispensable aux agences immobilières au moment de la vente d’un bien qu’à leurs occupants au quotidien, y compris les familles : « la baignoire pour laver les enfants n’est pas le sujet ; il y a des solutions, qui sont à étudier. » Mais, parce qu’il a vécu au Japon, la baignoire nippone, étroite et haute – dont il a dessiné une version pour la collection Voyage développée avec VitrA –, lui paraît nettement plus acceptable (d’autant qu’un seul bain sert à plusieurs membres de la famille, qui y rentrent propres), bien qu’elle ne réponde pas à la question de l’accessibilité.
Mais si l’on suit la logique japonaise, qui associe en un même (petit) lieu fermé une baignoire – à l’emprise au sol et à la capacité réduites (photo) – et une douche sans cloison, on répond simultanément aux deux questions de l’écologie et de l’accessibilité. Ce principe est aisément adaptable, notamment du point de vue de l’esthétique, à la salle de bains française, voire européenne, en particulier lorsqu’elle est séparée des toilettes. Ce qui demeure, fort heureusement, le cas en France la plupart du temps, même si la réglementation autorise, depuis 2014, l’intégration des WC dans la salle de bains et, pire, d’ouvrir les toilettes directement sur la pièce de vie ou la cuisine.
Des WC séparés et aménagés
Crise sanitaire aidant, la séparation des WC et de la salle de bains met tout le monde d’accord. Pour Arik Levy, « les toilettes doivent être aménagées, ergonomiques, lavantes. » D’autant plus qu’elles sont « le seul endroit de la maison où l’on a le droit de ne pas être dérangé » et qu’elles se sont agrandies pour permettre la rotation d’un fauteuil roulant. Des toilettes cosy, donc, et équipées pour assurer une hygiène à l’eau, ce qui est rendu possible par le WC/abattant lavant, mais aussi par la douchette hygiénique, voire le bidet. Ce dernier, pas cher, et donc accessible dans tous les sens du terme, mériterait d’être réhabilité et proposé, même en option, à tout futur propriétaire d’un logement neuf dont les toilettes ont une surface d’environ 2 m². Si, déjà, l’hygiène est assurée aux toilettes, la fréquence des douches peut diminuer… Reste le sujet de l’ergonomie, qui passe par des WC permettant une position plus physiologique. « La question n’est pas encore traitée par les fabricants de céramique sanitaire, explique Arik Levy, parce qu’ils sont contraints de fabriquer des produits faciles à vendre. » Mais la cuvette ergonomique, dont le fabricant turc Güral propose un exemplaire (photo), pourrait remplacer le marchepied que les personnes soucieuses de leur transit ont déjà installé près de leur WC.
Une salle de bains hygiéniste
Car, Coronavirus oblige, la santé et sa prévention, sont devenues une préoccupation majeure pour nombre de Français. Toutes deux entrent dans la salle de bains via les objets connectés, en particulier le miroir qui, doté d’une caméra et de capteurs, est en mesure, a récemment expliqué à Sdbpro.fr Thomas Serval, PDG de Baracoda, d’évaluer les effets des produits cosmétiques, de pratiquer le yoga facial, de mesurer la température du corps, d’apprécier le teint et la qualité de la peau, de repérer la sudation, de découvrir des problèmes hépatiques au travers des yeux, de visualiser un grain de beauté qui évolue mal… Détectant les symptômes avant même qu’on les ait perçus, le miroir connecté va rapidement transformer la salle de bains non pas en pièce à vivre, mais en centre de santé holistique (selon laquelle le corps forme un Tout).
De l’air et de la lumière !
Reste que la salle de bains qui nous est proposée depuis les années 1960 est une pièce noire située au bout d’un couloir qui l’est tout autant. Reléguée dans les profondeurs de nos appartements, sans fenêtre, mal ventilée par des systèmes sous-dimensionnés et peu ou pas entretenus, elle ne donne guère envie de s’attarder. Même si la crise sanitaire justifierait à elle seule de lui rendre l’air du dehors et la lumière du jour, ce n’est pas près d’arriver : non seulement les appartements sont mono-orientés, mais ils donnent sur une longueur de façade de plus en plus réduite, car l’obligation de créer des parking en sous-sol des immeubles collectifs a rendu ceux-ci très épais. [1]
Une chose est donc sûre : la salle de bains post-Covid, aérée, écologique, connectée, adaptée aux nouveaux besoins… ne passera pas par la construction neuve. A moins que les futurs accédants ne se rebiffent ?
[1] Le plus grand architecte, c’est Bercy, titre de la conférence acteur-chercheur organisée par Idheal, think-tank dédié au logement, avec Alexandre Neagu, architecte et enseignant-chercheur, et Jean-Raphaël Nicolini, directeur des grands projets et de l’innovation urbaine chez Care Promotion.
[2] La maison post-Covid : visite guidée, enquête de Anne-Lise Carlo, parue dans Le Monde daté du 17 avril 2021.
[3] Cité dans : Comment la pandémie va-t-elle révolutionner la salle de bains ? Rafael F. Bermejo, directeur de Houzz Espana.
[4] Arik Levy, artiste designer.
Photos : RainTunes de Hansgrohe (ouverture), Istockphoto.com Bee32 (salle de bains japonaise), WC Kanguru de Güral.