Fin 2019, le secteur du bâtiment s’est enflammé au sujet de l’obligation annoncée d’installer des douches à zéro ressaut dans tous les logements neufs. Une mesure voulue par les associations de handicapés et contestée par les professionnels de la construction. Mais la messe n’est pas (tout à fait) dite.
C’est Edouard Philippe, premier ministre, qui a allumé la mèche lors du troisième Comité interministériel du handicap (CIH), annonçant en plein mois de décembre la mise en œuvre, dès 2020, « des premiers logements “évolutifs”, avec obligation de salles de bains adaptables (zéro ressaut de douche), de façon à pouvoir aménager maisons et appartements en cas de survenance ou d’évolution du handicap. »
En réalité, tout a commencé avec la loi Elan qui, en novembre 2018, a modifié l’arrêté du 24 décembre 2015 relatif à l’accessibilité des bâtiments d’habitation collectifs, faisant passer l’obligation de 100 % de logements collectifs accessibles à 20 %, situés au rez-de-chaussée ou dans les étages desservis par un ascenseur (obligatoire au-delà du deuxième étage désormais). Les 80 % restants devant être « évolutifs », c’est-à-dire, selon l’arrêté du 11 octobre 2019, « permettre la redistribution des volumes par des travaux simples pour garantir l’accessibilité ultérieure de l’unité de vie. »
Depuis, un autre arrêté (JO du 18 octobre 2019, article 4) est venu modifier celui du 24 décembre 2015 (article 16) et préciser en quoi consistaient les « travaux simples » qui, dans les logements évolutifs, doivent permettre la redistribution des volumes pour garantir « l’accessibilité ultérieure de l’unité de vie ». Ce sont donc des travaux « sans incidence sur les éléments de structure », ne nécessitant pas « d’intervention sur les chutes d’eau, sur les alimentations en fluide et sur les réseaux aérauliques situés à l’intérieur des gaines techniques appartenant aux parties communes du bâtiment », n’intégrant pas « de modifications sur les canalisations d’alimentation en eau, d’évacuation d’eau et d’alimentation de gaz nécessitant une intervention sur les éléments de structure » ; ne portant pas sur les entrées d’air ni ne conduisant « au déplacement du tableau électrique du logement. »
Au fait, c’est quoi une douche à l’italienne ?
Le CNCPH (Conseil national consultatif des personnes handicapées), qui réunit les associations de handicapés, s’est immédiatement réjouit de cette obligation qu’il avait appelé de ses vœux, tandis que les professionnels de la construction, en particulier la FFB (Fédération française du bâtiment), soulignait la contrainte technique, donc financière, qu’elle impliquait.
Car la FFB met en doute la pertinence d’une telle mesure par la voix d’Alain Chapuis, son mandataire sur les questions d’accessibilité (qui est lui-même en fauteuil roulant). Et s’inquiète des coûts qu’elle engendre, liés au problème de l’encastrement du siphon dans la dalle flottante, qui implique d’augmenter son épaisseur jusqu’à 7 à 10 cm et d’ajouter au poids du bâti, donc au prix de la structure ; mais aussi de la nécessité de réaliser une étanchéité sur toute la surface de la salle de bains et le pied des murs, et d’assurer sa préservation dans le temps. Soulignant qu’aucun logement ne sera jamais véritablement universel, tant les handicaps sont nombreux et différents, la FFB milite pour les limiter aux rez-de-chaussée des immeubles collectifs tout en réclamant un délai de trois ans qui permettrait de travailler avec les industriels pour concevoir des solutions techniques adaptées et prendre le temps de les valider.
De plus, comme toujours s’agissant de douche à l’italienne, rien n’est clair : selon le site Handicap.fr, le CNCPH veut des « douches dites à l’italienne, c’est-à-dire de plain-pied, sans receveur, ni porte ». Il s’agit donc de douches totalement ouvertes, fondues dans la salle de bains, et carrelées, voire habillées d’un revêtement vinyl, comme c’est le cas dans les établissements médicaux. Les premières ont de quoi affoler les assureurs, tandis que les secondes sont difficilement importables dans l’habitat… Sans compter la question de la sécurité électrique dans les petites salles de bains ou les salles d’eau lorsque la douche est entièrement ouverte (respect de la norme NF C 15 100).
Si l’encastrement des siphons est d’ores et déjà obligatoire, les pouvoirs publics n’ont pas précisé ce qu’ils entendaient par « douche à l’italienne » (carrelée, avec receveur, un peu ou tout à fait ouverte…). L’arrêté du 24 décembre 2015 (article 15) s’applique donc toujours, qui ne fixe aucune hauteur au ressaut du bac à douche, lequel doit simplement « être limité afin de permettre son accès en toute sécurité ». Prévu au mois de janvier 2020, le nouvel arrêté tarde à être publié. Faut-il y voir l’embarras technique dans lequel cette nouvelle obligation a plongé le législateur ? On ne peut l’exclure.
17 septembre 2020 : l’arrêté a été publié au Journal Officiel.
Photo d’ouverture : salle de bains Hewi, accessoires System Competence.