Sans parler d’innovation de rupture, la céramique n’a de cesse de changer d’apparence. Repérées de façon récurrente, plusieurs tendances ont fait consensus sur l’ISH (même si, traditionnellement, l’appétence du marché allemand va plutôt à l’acier émaillé).
Au point d’eau, la « r/évolution » lancée en 2013 par Laufen avec le SaphirKeramik (collection Kartell by Laufen) a été progressivement absorbée par le marché (ISH a connu trois éditions depuis), chaque fabricant ayant désormais (ou presque) sa propre recette de céramique à bords amincis. En libérant le champ des possibles, ce matériau 2.0 a poussé la céramique à se transformer, lui a permis de sortir des ornières du « déjà vu » et de se « disrupter » tout en cultivant ses qualités premières de solidité et de durabilité face aux matériaux de synthèse qui grignot(ai)ent des parts de marché.
Sublimer la matière
Globalement, le design des vasques a ainsi gagné en « agilité » et en « légèreté », à l’instar du nouveau lavabo Veil de Scarabeo (photo ci-contre), qui flotte littéralement dans l’espace. A noter : lancé sur ISH, le système de bâti-support Geberit One (existe pour vasque et WC) va plus loin encore en encastrant le siphon et la robinetterie, faisant disparaître derrière le mur tous les éléments techniques pour sublimer ce qui se trouve devant, en l’occurrence la vasque en céramique…
Profitant sans doute le plus de cet affranchissement formel inédit, les vasques à poser (associées à l’indispensable meuble, donc) reviennent en force, au catalogue des fabricants comme dans les états de vente.
Sorte de version hybridée à mi-chemin entre le bol et le plan, une typologie de vasque se développe visiblement, « débordant » du meuble en encorbellement (un demi-cercle en saillie), à l’instar de la nouvelle collection Voyage chez VitrA (photo ci-contre). Dessinée par Arik Levy, elle tire intelligemment parti d’une profondeur de meuble optimisée et dispose d’un plateau latéral de dépose sur lequel est intégrée la robinetterie. Dans la lignée initiale de la vasque Ino crée par le designer français Toan Nguyen, Laufen continue d’explorer ce design en ressaut au travers de la collection Sonar. Cette année, Patricia Urquiola a imaginé une cuvette WC « amputée » d’un nez de céramique qui, justement, dépasse du lavabo, un peu comme si la matière en saillie avait été prélevée sur l’un pour être appliquée sur l’autre.
L’aspect de surface fait la différence
Rondes, ovales, rectangulaires ou carrées… peu importe la ligne, même « basiques », les vasques en céramique fine sont légion, sauf que le nouvel élément de distinction n’est plus seulement la silhouette mais aussi l’aspect de surface, soumis à de multiples variations, quasi unanimement déclinées sur l’ISH 2019 : couleur, matité et relief (photo ci-contre : WC Bocchi).
Le retour en grâce de la couleur
A Francfort, la couleur s’est imposée comme la principale tocade. Initiée d’assez longue date par les fabricants italiens (dont Cielo et Globo), la céramique chargée en pigments conquiert maintenant tout le sanitaire, jusqu’aux cuvettes, y compris les WC-douche. Cette incursion jusque dans ce segment peut faire figure de grande première, sauf à se remémorer que les modèles et abattants lavants originels, lancés dans les années 1970, s’affichaient en jaune, rouge ou vert éclatant (Geberit, Geberella et O-Mat)… Tout ne serait donc qu’un éternel recommencement, accréditant au passage l’idée qu’il existe bel et bien une culture esthétique, sinon artistique, de la salle de bains, pièce relativement « jeune » de l’habitat ?
Un regret sincère que nous tenons à exprimer : éclatante sur le salon, la couleur n’a pas trouvé d’écho à la hauteur au sein de l’exposition Pop Up my Bathroom pourtant consacrée à cette seule thématique. Aucune vasque en céramique autre que blanche, pas plus que de WC mis en teinte (…), la couleur se limitant quasi exclusivement aux façades et composants des meubles ainsi qu’aux finitions en robinetterie. Alors que cet espace est d’ordinaire voué à des mises en scène prospectives inspirantes, qui tirent la salle de bains vers l’avant, il semblerait que la réflexion menée cette année, trop timide et limitée, soit passée à côté du sujet. Il est dommage de ne pas avoir montré toute l’étendue et la portée de ces nouvelles palettes, la couleur étant une tendance de fond qui donne, dans tous les sens du terme, plus que jamais le ton en décoration, et notamment grâce à la céramique !
Pastel, gris neutres et palettes très étudiées
Dans ce registre expressif (en ce qu’il s’oppose à la neutralité émotionnelle du blanc), deux palettes, voire trois, s’opposent (ou se complètent) déjà.
D’un côté, les tonalités plus ou moins pastel sont inspirées des années 1950-60, The Art Ceram apparaissant comme le précurseur avec sa collection Cartesio dont la palette tendre évoque le style Memphis (mouvement de design lancé dans les années 1980 par Ettore Sottsass).
De l’autre, face à ces créations néo-rétro qui surfent sur la mode du vintage, un registre plus contemporain qui rassemble plusieurs beiges et gris empruntés à une palette naturelle, avec des tons clairs mais surtout foncés, l’anthracite étant le plus en vogue (Duravit, Ideal Standard, Roca, Villeroy & Boch…).
Enfin, une troisième voie sonde la chromi sans autre limite que celle de susciter des émotions (et des envies !) tout en cadrant avec les attentes du marché et ses segments les plus pointus. L’hôtellerie notamment, en demande de produits exclusifs en phase avec l’actualité de la décoration pour travailler des concepts globaux, salle de bains comprise. Une idée cultivée par Gesa hansen pour Villeroy & Boch ainsi que par les designers Ludovica et Roberto Palomba (studio Palomba Serafini Associati) qui, en prenant la direction artistique d’Ideal Standard (une vision globale, donc), entendent « introduire des coloris qui révolutionnent la manière de concevoir le style d’une salle de bains, avec des teintes comme Vison ou Bleu poudré qui ne se contentent pas d’ajouter une simple touche de couleur mais font naître tout un nouvel univers, source d’inspiration » (nuancier de dix coloris disponible pour les vasques Ipalyss au troisième trimestre 2019 et Conca dès leur lancement sur le marché en 2020).
Aux frontières du genre et de l’art
Comme pour la robinetterie, il s’agit d’élargir les possibilités de personnalisation du décor, en offrant le choix de la couleur, qui, comme chacun sait, est avant tout une affaire de sensibilité et de « goût ».
Côté style, après les receveurs à motifs imprimés Vi-Print, Villeroy & Boch complète notamment la collection Antheus présentée lors du précédent ISH par une vasque en céramique émaillée qui est décorée de géométries typées Art Déco, d’aspect platine (photo ci-dessus).
Moirée, la dernière déclinaison de la vasque Morfys exposée par le portugais Sanindusa l’est aussi (photo ci-contre). Avec sa forme en corolle dessinée par Melissa Vilar, elle revêt une spectaculaire finition irisée qui fait chatoyer non pas la, mais les couleurs, dans un rendu proche des reflets huileux des hydrocarbures.
Tout aussi sensationnel, l’espagnol Bathco présentait à Francfort ses vasques en porcelaine réagissant aux ultraviolets dévoilées un mois plus tôt sur le salon Cevisama. Ce produit unique développé par la section Atelier devrait en particulier séduire les établissements de nuit (mais aussi les amateurs de curiosités). Sous la lumière noire, certains détails peints à la main à l’intérieur du bol deviennent phosphorescents, transfigurant le décor, révélé comme par magie. Une idée fun et techniquement nouvelle qui donne naissance à de véritables œuvres que la lumière exalte.
Comme le carrelage, la céramique se met à la 3D
Au niveau des finitions, la coloration n’est pas la seule animation de la céramique devenue possible. Le parallèle avec la robinetterie fonctionne une fois de plus : d’intéressantes propositions avec du relief sont en train de passer là-encore du point d’eau aux toilettes, créant une harmonie globale dans la salle de bains sur le principe de collections unifiées.
En surface, la céramique reçoit un modelé assez doux, avec des saillies (gaufrages, bossages…) qui, bien que légères, confèrent du caractère à des objets, manière de les singulariser pour répondre ici aussi à la montée récente du besoin d’individualisation. Sur ISH, nous avons repéré deux exemples assez radicaux de cette approche esthétique et tactile de la céramique en 3D sur les stands des firmes transalpines Disegno Ceramica (collection Loom, photo ci-contre) et Bocchi. Un frémissement à suivre !
Pas d’échec pour le mat
Enfin, pour donner du lustre à la céramique, le marché cultive le paradoxe de la matité. Exit l’ultra brillance, l’absence de reflets devient synonyme de modernité, apportant une vraie fraîcheur à la matière. Au regard comme au toucher, la matière se fait plus feutrée, moins démonstrative. Proposés pour le point d’eau comme les toilettes, les accords sourds de la céramique dépolie apportent une unité à la salle de bains en établissant une correspondance visuelle jusque-là inexplorée avec les nombreuses baignoires en solid surface dont la céramique « copie » dès lors le fameux blanc polaire. Nous l’avons vu chez Villeroy & Boch, Toto (photo), Flaminia (collection Madre, design Piero Bottoni) et Duravit, qui présentait la cuvette Happy D.2 Plus, mate à l’extérieur et brillante à l’intérieur pour maintenir la propreté.
Une griffe qui donne du style
Promoteurs de cette renaissance de la céramique, les designers voient leurs noms associés clairement aux marques, dans des opérations qui ressemblent à du co-branding. Nous avons notamment noté que ces signatures croisées s’appliquaient sur des produits dont le déficit d’image est proverbial, s’agissant de produits destinés aux toilettes, y compris publiques, qui s’en trouvent semble-t-il « anoblis ». Citons pas exemple chez VitrA, les urinoirs de la collection Plural qui sont estampillés Terri Pecora ou le nouveau WC lavant signé Starck présenté sur le stand Duravit (voir photo plus haut).