Evaluée à 20 %, la perte de chiffre d’affaires liée au coronavirus, qui impacte chaque maillon de la filière salle de bains, va avoir de lourdes conséquences explique Patrice Wacrenier, qui a passé plus de 30 ans à la direction marketing et achats du groupe Saint-Gobain. A moins que…
Sdbpro.fr – Quelles peuvent être les conséquences de cette baisse de chiffre d’affaires due à la crise sanitaire ?
Patrice Wacrenier – La crise a exacerbé les situations existantes, affaiblissant les entreprises les plus fragiles – fabricants, distributeurs ou installateurs – et confortant les plus solides. Dans la distribution, on risque de voir les plans de vente se resserrer sur les gros fabricants et les hyper spécialistes, les MDD se renforcer, les stocks se réduire, les nouveaux référencements être supprimés ou limités au remplacement des fournisseurs défaillants et aux quelques innovations marquantes. Les mises en chantier vont probablement chuter et les projets hôteliers être durablement reportés : sans la prescription, la distribution peut se passer de l’appui des fabricants. De leur côté, ces derniers doivent diffuser leurs nouveautés pour se différencier. Ils ont également besoin de volumes et de perspectives les concernant. Les conditions sont réunies pour qu’ils se laissent tenter par la multidistribution – pure players, places de marché, vente directe… – qui, mal maîtrisée du point de vue des tarifs, ne sera pas sans conséquence, notamment sur le développement des MDD.
Les relations entre les uns et les autres vont-elles se tendre ?
Patrice Wacrenier – Sans aucun doute. Les négociations vont être difficiles et les contrats remis en cause : stocks, BFA, pénalités, franco… C’est la guerre du cash ! Les partenariats risquent de s’affaiblir alors qu’ils n’ont jamais été aussi nécessaires. Sans compter que le télétravail ne facilite pas la communication, y compris à l’intérieur des entreprises. Et pendant ce temps, les pure players se renforcent et se développent venus d’Allemagne, de Belgique…, les places de marché grossissent. Le négoce doit s’extraire du rythme du catalogue.
« Le négoce doit s’extraire du rythme du catalogue » : c’est-à-dire ?
Patrice Wacrenier – La distribution est en train de préparer les référencements pour les catalogues 2021, lesquels vont figer les plans de vente durant un an. Alors que les grandes surfaces de bricolage, ainsi que les pure players, sont très réactifs en termes de nouveautés, profitant de la communication des marques au moment où elles lancent leurs produits, le négoce continue de vivre au rythme des catalogues annuels, qui n’est plus celui du marché. Il faut faire preuve d’opportunisme en termes de produits.
Pourquoi les partenariats sont-ils la solution ?
Patrice Wacrenier – Parce qu’ils sont un moyen efficace de créer de la valeur. L’écoute, le dialogue facilitent l’identification des besoins actuels et futurs. Alors qu’il existe des opportunités importantes de marché, les particuliers ayant depuis le confinement exprimé le désir de transformer leur habitat, il y a des risques d’affrontement au sein de la filière. J’ai été frappé de lire, durant la crise, que Super U avait décidé de payer comptant les factures de ses plus petits fournisseurs, ceux dont le chiffre d’affaires était inférieur à 50 millions d’euros…
Et l’installateur ?
Patrice Wacrenier – Tout le monde l’oublie alors qu’il est au cœur des stratégies. L’accélération des ventes sur Internet, parfois à prix posés, l’oblige à réduire ses marges sur les produits et à s’intéresser aux MDD, qui les sécurisent. Le virage de la tarification est en train de se produire. La relation commerciale avec l’installateur évolue vers le multicanal. Elle passe plus souvent par Internet (tutos, e-training…), d’autant plus que les rendez-vous physiques sont limités, les visites d’usines annulées, ainsi que les salons, qui pourraient bien devenir un peu plus virtuels…
Repères
* Patrice Wacrenier, fin connaisseur de la filière sanitaire chauffage, a créé la société de conseil Shape-IC, acronyme de Sanitary, Heating and Plumbing Expertise International Consulting. Cette société de conseils veut accompagner les industriels dans le cadre de leurs développements produits, pour identifier avec eux les opportunités, challenger les gammes, les compléter…