Tom Wesselmann – figure majeure du pop art, mouvement foisonnant et volontiers tape-à-l’œil auquel la Fondation Louis Vuitton consacre une exposition – est l’auteur de « bathtub collages » incluant de véritables équipements sanitaires des années 1960, qui font entrer le réel dans l’art. Une vision unique de la salle de bains, à découvrir vite, jusqu’au 24 février 2025 !
Pop Forever, Tom Wesselmann &… Avec ces points de suspension, le titre de l’exposition de la Fondation Louis Vuitton invite le lecteur à imaginer la suite et ouvre de façon claire le champ des possibles : Andy Warhol n’a pas le monopole du pop, même s’il en est le pape. Certes moins connu du grand public, c’est ici Tom Wesselmann (1931-2004), un autre de ses chefs de file, qui tient le haut de l’affiche dans une rétrospective qui n’entend pas dire (seulement) son nom.
Accompagnées de quatre-vingt documents d’archives, cent-cinquante œuvres de Tom Wesselmann constituent en effet le fil rouge de l’événement. Lui qui disait ne pas aimer « les étiquettes en général, et en particulier l’étiquette “pop” », fustigeant la « tendance à vouloir rassembler les artistes qui utilisent des matériaux et des images similaires », alors que « les différentes façons dont chacun les utilise nient toute intention de groupe » apprécierait sans doute : trente-cinq artistes de premier plan (Andy Warhol, Roy Lichtenstein et Claes Oldenburg compris, mais pas seulement) complètent ce joyeux melting-pop, illustrant la pluralité de ce mouvement culturel qui, tout sauf sclérosant, incarne l’esthétique de la société de consommation. De Marcel Duchamp à Ai Weiwei en passant par Jeff Koons, leurs soixante-dix œuvres témoignent aussi de sa remarquable pérennité, jusqu’à nos jours.
Des Still lifes aux Interiors
Dans cet hymne quasi-publicitaire à l’american way of life des années 1960, la salle de bains n’est pas le dernier des marqueurs de la modernité. Une section entière de l’exposition y est consacrée, où l’on peut admirer bon nombre des œuvres de Wesselmann explorant cette thématique [1]. Alors qu’il s’est essayé à la technique du collage en réalisant des petits formats qui s’inscrivent encore dans la tradition des femmes à la toilette d’Edouard Vuillard ou de Pierre Bonnard, l’artiste pop a réalisé des environnements grandeur nature qui invitent à porter un regard inédit sur la pièce la plus intime de l’univers domestique, dans l’idée que les personnes se sentent « comme si elles étaient chez elles » dans ses peintures. Ci-dessus : Tom Wesselmann, Little Bathtub Collage #1, 1960. Technique mixte et collage sur bois, 14 x 19,1 cm. The Estate of Tom Wesselmann, New York. ©Adagp, Paris, 2025. Crédit photographique : ©Jeffrey Sturges.
Des vecteurs de super réalité
Dans les intérieurs qu’il met en scène, Wesselmann intègre de fait des objets du quotidien qui, en plus d’ajouter une dimension privée, personnelle, insufflent de la vie dans l’art : « Les panneaux d’affichage, les salles de bain et les cuisines ne me passionnaient pas particulièrement jusqu’à ce que je réalise qu’ils ont une sorte de super réalité qui pourrait être exploitée en peinture. Le vrai réfrigérateur, dans ma cuisine, n’a rien de particulièrement passionnant. Mais ce qui me passionne, c’est de pouvoir prendre en main une porte de réfrigérateur, la transporter et la mettre dans une peinture. »
En abolissant ainsi les frontières entre l’art et la réalité, le banal change de statut et les abattants de toilette qui trouvent place dans ses « bathtub collages » instaurent sans nul doute un dialogue ironique avec la Fontaine de Marcel Duchamp, dont la version originelle, composée d’un urinoir en céramique signé « R. Mutt » date de 1917, surnommée « Madone de la salle de bains » par la critique. Sans doute faut-il aussi voir dans la lunette relevée une sorte de lorgnette, qui transforme le spectateur en voyeur… et rappelle l’imagerie commerciale, comme une fabrique à désirs matériels. Ci-dessus : Marcel Duchamp, Fontaine, 1917/1964. Faïence blanche recouverte de peinture, 38 x 48 cm x 63,5 cm. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne. Centre de création industrielle, Paris. ©Association Marcel Duchamp/Adagp, Paris, 2025. Crédit photographique : ©Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN Grand Palais/Audrey Laurans.
Jeux d’illusion et d’interaction
Dans ces toiles combinant assemblages, collages, peinture…, les objets en trois dimensions donnent vie à l’œuvre, qui s’éloigne en ce sens du genre de la nature morte. Leur ajout à la toile créé une intrusion dynamique : en débordant du cadre, ces outils de subversion artistique interpellent le spectateur, formant une clé d’entrée ultra-visuelle : manière de capter l’attention dans une quête d’interaction, « la troisième dimension devient une partie vivante de la bi-dimensionnalité ». Ci-dessus : Tom Wesselmann, Bathtub Collage #4, 1964. Acrylique, linoléum, bois, plastique peint, colle, métal et fusain sur carton, 119 x 150 x 10 cm. Collection particulière. ©Adagp, Paris, 2025. Crédit photographique : ©Photographie Vincent Everarts Bruxelles.
Pour Wesselmann, qu’ils soient présentés ou re-présentés dans un jeu d’illusion, le dévidoir à papier, le porte-savon, le rideau de douche, le faux carrelage en linoléum, le savon, la serviette de toilette ou encore le panier à linge, sont des éléments stéréotypés de l’époque qu’il dépeint, à l’instar du hamburger, du pain de mie, des bouteilles de Coca-Cola… érigés en stars, mais dont la marque ici n’apparaît pas. Neufs, ils ont été dénichés tout spécialement, issus de shoppings réfléchis et non de rebuts.
La composition est fragmentée, presque cinématographique, travaillée dans une succession de plans, d’aplats de couleurs vives, de matériaux… comme dans un puzzle graphique où la figure féminine, peinte sur bois contreplaqué peint ou découpée dans du papier magazine, préfigure la série des Great american nudes qui lancera définitivement la carrière, prolifique, de l’artiste.
[1] Le Wildenstein Plattner Institute, qui constitue le catalogue numérique raisonné de l’œuvre de Tom Wesselmann, permet de consulter une base de données d’œuvres enregistrées par la succession de l’artiste. En lien avec la thématique du bain, le WPI en répertorie seize (hors multiples), dont une moitié fait partie de la sélection de l’exposition.
L’exposition : Pop Forever, Tom Wesselmann &…, Fondation Louis Vuitton, du 17/10/2024 au 24/02/2025.
Photo d’ouverture : Affiche de l’exposition (Fondation Louis Vuitton), Tom Wesselmann, Bathtub Collage #1, 1963. Huile, vernis et acrylique sur carton pressé avec objets montés. 122,5 x 152,8 x 17,6 cm. MMK, Museum für Moderne Kunst, Francfort-sur-le-Main, ancienne collection Karl Ströher, Darmstadt. ©Adagp, Paris, 2025. Crédit photographique : Courtesy Museum MMK für Moderne Kunst; ©Axel Schneider.