Au Pavillon de L’Arsenal à Paris, l’exposition « Hôtel Métropole – Depuis 1818 » retrace l’histoire de ces établissements, de l’inauguration de l’hôtel Meurice, premier palace de la capitale, aux quelque cent cinquante projets en cours d’étude ou de construction dans le Grand Paris. La prescription hôtelière incarnant toujours l’exception qui prime… avant de devenir en général la norme, la salle de bains s’y révèle comme un pertinent marqueur du progrès, passé, présent et à venir.
L’événement, programmé jusqu’au 12 janvier 2020, ne se contente pas d’un regard rétrospectif. Tout en proposant une radiographie instructive et détaillée du parc hôtelier parisien actuel à l’approche du rendez-vous olympique de 2024, il questionne les perspectives de cette architecture spécifique face aux enjeux bio-climatiques et s’interroge en particulier sur le changement des usages qui pourrait bien impacter la chambre (donc la salle de bains, son binôme) et faire évoluer les différents standards que nous connaissons… Depuis deux siècles, l’hôtel, « édifice en mutation perpétuelle construit pour anticiper les évolutions sociétales, économiques et culturelles », a la réputation d’être un laboratoire de la construction, l’accélérateur de nouvelles pratiques.
Confort, salubrité et hygiène
Dans le catalogue de l’exposition, Johanne Vajda, architecte, docteur en histoire et enseignante chercheuse, nous apprend par exemple qu’au départ, « la salle de bains, longtemps considérée comme l’apanage du grand hôtel, est un espace commun à plusieurs chambres, destiné aux soins médicaux plutôt qu’à l’hygiène corporelle, où l’on pratique l’hydrothérapie, les massages, les bains électriques (une salle de sudation dans un caisson chauffé à l’électricité, ndlr), les frictions, la manucure et la pédicure. » Un modèle que l’on imagine assez proche des spas aujourd’hui intégrés aux établissements de prestige.
En 1878, à peine quinze salles de bains pour sept cents chambres, c’est ce que compte le Grand Hôtel (actuel Intercontinental Paris, fleuron historique du luxe), l’auteur précisant qu’il ne faut cependant pas longtemps pour que le Ritz s’en équipe (on a du mal à le croire, mais fin XIXe, le mythique palace de la place Vendôme n’en possède pas encore)… Très en avance sur les habitudes des Français en matière d’hygiène, cette transformation est alors motivée par les demandes des clients étrangers, comme le rappelle Johanne Vajda.
Les plus heureuses innovations
Si les Américains sont alors déjà habitués à disposer de salles de bains individuelles, on doit en effet aux anglais le fameux « tub », ce « bassin, récipient large et à fond plat » (CNRTL) destiné à faire ses ablutions à grande eau dont les peintures impressionnistes (même époque) nous confirment l’adoption progressive, à l’image du célèbre pastel éponyme de Degas représentant une femme à la toilette (1886, musée d’Orsay). Et de faire le récit d’autres équipements et services « à la française » qui se devaient de faire le bonheur (et l’admiration) des voyageurs étrangers (le tourisme est alors réservé à l’élite). On se prend à rêver en songeant à l’eau chaude circulant dans les porte-serviettes en cuivre nickelé de l’hôtel Chatam (1908), au miroir avec ampoules, invention joliment nommée « mirophare » qui équipe, très en avance sur son temps, les salles de bains du Bristol (1934) où, comble du luxe, « les abattants de WC facilement démontables, sont poncés et revernis dans les ateliers de l’hôtel, avant d’être réinstallés pour un nouveau client, dans une pochette de papier glacé. »
Un laboratoire technique et social
Catherine Sabbah, qui co-assure avec Olivier Namias le commissariat scientifique de l’exposition ainsi que la direction du catalogue, le confirme : « L’arrivée des salles de bains fait aussi considérablement évoluer l’agencement de l’espace des hôtels et le plan des chambres. Pas forcément jugée nécessaire dans la culture française, où la toilette sèche, de parfums et d’apprêts, est longtemps tenue pour une hygiène suffisante, cette pièce humide est plus prisée des Anglais. » Les canalisations qui distribuent l’eau courante conditionnent alors la conception des bâtiments, rappelant au passage qu’en France, à l’orée du XXe siècle, seuls 2 % des logements sont pourvus d’une salle de bains, l’essor de cette pièce spécialisée ne commençant réellement qu’au sortir de la Seconde Guerre mondiale, puisque le taux d’équipement passe de 50 % dans les années 1970 à 100 % au début des années 2000.
Une annexe de la chambre
Initiée par les grands hôtels, la notion de suite (adaptée depuis au registre de l’habitat, sous la tutelle respectable de l’adjectif « parental ») crée des schémas d’implantation qui perdurent encore, avec d’abord l’alignement des lavabos et baignoires le long de la façade « pour faciliter leur branchement au réseau » puis « le pivotement à 90° de la baignoire » qui « permet de gagner de la place et de former une pièce qui se fermera progressivement » avant de devenir un bloc sanitaire qui peut se muer en cabine préfabriquée, y compris dans le registre haut de gamme, Catherine Sabbah, également journaliste aux Echos, évoquant « les salles de bains spacieuses et en marbre » du Marriott Courtyard de la gare de Lyon (Paris, 12e) « assemblées en usine et hissées par une grue, comme les cabines d’un paquebot. »
Au-delà du plan et des fonctionnalités offertes par l’équipement et l’agencement, la question cruciale est évidemment celle de la consommation d’eau qui fait dire à Catherine Sabbah que « l’innovation viendra peut-être d’un contrôle imposé ou suggéré de la durée ou de la fréquence des ablutions. »
Du carbone dans le bain
Jérôme Mathieu et Marc Fasiolo de S2T Ingénierie, société spécialisée dans la conception, la coordination et la maîtrise des spécialités techniques ainsi que dans les enjeux énergétiques urbains, relèvent justement que la consommation énergétique globale moyenne d’un hôtel (234 kWh/m²/an, selon l’Ademe) « est pour les deux tiers associée au confort climatique des établissements (chauffage, 40 % et climatisation/ventilation, 7,5 %) et à l’eau chaude sanitaire » (15 %). Ces professionnels de l’efficience observent que puisque « le patrimoine immobilier consomme globalement de moins en moins d’énergie » (rénovation énergétique de l’existant, constructions neuves thermiquement responsables…), « les bâtiments neufs et rénovés voient ainsi leur consommation de chaleur se concentrer sur les besoins en eau chaude sanitaire qui, de leur côté n’évoluent pas ou peu. »
Des débits d’eau concentrés
Le constat est implacable, avec des moyennes par chambre qui sont figées depuis des années dans toutes les strates de l’hôtellerie : de 50 litres par jour (une étoile) à 150 litres par jour (quatre étoiles) d’eau chaude sanitaire, avec des pics sur une heure (hôtels d’affaire ou à la montage) à deux heures (hôtels de tourisme) durant lesquelles 60 % de la consommation journalière se concentre !
La solution préconisée pour soulager « ces appels de puissance aux systèmes de production de chaleur » : stocker en amont des volumes d’eau chaude « tampon » dans des locaux techniques, « préparés durant plusieurs heures préalablement au pic de soutirage » grâce à « de « simples » ballons d’eau qui permettent le déphasage, voire l’effacement des pointes ». « Outre l’effacement thermique, le stockage permet de d’optimiser la décarbonation des infrastructures énergétiques urbaines (réseau de chaleur, gaz ou électricité) : les talons de consommation peuvent être assurés par des énergies renouvelables et de récupération, tandis que les pointes le sont par des énergies fossiles, pour des raisons techniques et économiques. »
Une chambre pour demain
La consommation moyenne atteint en effet 300 litres par nuit et par client dans l’hôtellerie : un désastre si l’on multiplie ce volume colossal par les 1,6 milliard de voyageurs que l’Organisation mondiale du tourisme prévoit en 2020. Au cœur de l’exposition, le bureau d’études Le Sommer Environnement propose une installation vertueuse qui démontre que « des solutions existent et peuvent être le point de départ d’une réflexion et d’une remise en question profonde quant à notre manière d’habiter », arguant qu’il « y a urgence à réagir, à réinventer les modèles » de la chambre d’hôtel.
« Economiser 70 % de l’eau habituellement consommée dans une chambre d’hôtel standard », c’est l’objectif que revendique une telle étude prospective. Réduite à sa plus simple expression et à base de matériaux de réemploi, cette plate-forme expérimentale présente des « solutions au stress hydrique » qui se fondent sur « des systèmes de bouclage, dans lesquels presque rien ne se perd, tout se récupère ou se transforme. »
A ciel ouvert, l’installation donne à voir ce qui est habituellement dissimulé, comme les circuits de distribution de l’eau qui fonctionnent ici en boucle.
L’eau usée devient ressource de proximité
« Une chambre pour demain » embarque sur son toit végétalisé deux grands réservoirs. L’un sert à collecter l’eau de pluie, l’autre au stockage de l’eau rendue potable (un système d’analyse confirme sa qualité en temps réel) grâce au bac de phytoépuration garni de plantes d’eau et aux filtres à charbon actifs positionnés à côté. Opérationnel, ce système de pompage et de filtration renvoie, traite et réalimente le réseau d’eau, auquel la baignoire et la vasque sont connectées.
Seul élément autonome, la cuvette des toilettes collecte séparément les urines et les excréments. Reliée à des bacs de collecte sélective, elle produit de l’engrais et de la biomasse qui valorisent les nutriments : les eaux jaunes et noires se sont plus considérées comme des déchets à rejeter.
A noter : Pluridisciplinaire, ce projet visionnaire a été conçu en collaboration avec l’agence d’architecture Cigüe, le système de traitement Vuna qui produit de l’engrais à partir d’urine (Aurin) et a permis le développement des toilettes séparatives Save It ! présentées par Laufen lors du salon ISH 2019, l’entreprise de phytoépuration Aquatiris et TBI, une équipe de chercheurs en génie des procédés (INSA Toulouse) qui a inventé un prototype de toilettes sous vide à séparation des urines.
Repères
♦ Exposition Hôtel Métropole – Depuis 1818, Pavillon de l’Arsenal – 21, boulevard Morland – 75004 Paris. Jusqu’au 12 janvier 2020, du mardi au dimanche, de 11h à 19h. Entrée libre.
♦ Catherine Sabbah et Olivier Namias, commissaires scientifiques invités.
♦ Avec les installations de l’agence Ciguë, Nicolas Dorval-Bory associé à l’agence Vorbot, Lina Ghotmeh et Jean-Benoît Vétillard et les contributions d’Année Zéro, S2T et ON CITIES.
Photo d’ouverture : Grand Hôtel, ©Charles Lansiaux Dhaap, Roger-Viollet.