Si, dans le sanitaire, le réemploi s’affirme comme une solution éco-responsable qui repose sur des produits résistant à l’usure, l’engouement pour le vintage ne traduit pas seulement une volonté de prolonger leur vie. Valorisées pour leur design, les pièces millésimées de la salle de bains commencent à avoir leur propre marché – et une valeur – qui repose davantage sur leur désirabilité que sur leur circularité.
Qu’ils soient neufs (surstockage, fin de série) ou issus de la récupération sur chantier, les produits du réemploi sont des basiques vendus à prix cassés, neutralité carbone et approvisionnement local en prime, en phase avec les enjeux RSE dans le BTP. Pour l’essentiel, ce gisement se limite aux pièces de céramique sanitaire.
De l’éthique à l’esthétique
Le vintage couvre un champ bien plus large, du carrelage aux accessoires. Antithèse du tout-jetable et du fast-design qui pousse à la surconsommation d’objets déco soumis aux effets de mode, il ne séduit pas seulement les consciences écologiques, mais aussi ceux qui, économiquement, ne peuvent faire autrement.
Ce qui distingue fondamentalement le vintage de la seconde main lambda, c’est d’abord la valeur iconique attribuée à chaque objet, qui en détermine le degré d’attractivité, fonction d’une signature, d’un style, d’une époque… Conjuguée à la rareté, à l’instar des œuvres d’art, leur cote grimpe, la demande étant inversement proportionnelle à l’offre. De fait, plutôt que les personnes n’ayant pas les moyens d’acheter du neuf et/ou en quête de bonnes affaires, ces occasions majorées intéressent surtout les happy few prêts à mettre le prix pour en avoir la jouissance, unique.
Singulariser son habit(at)
Pour ces chineurs de perles rares, il en va dans l’habitat comme pour l’habit : le vintage est synonyme d’exclusivité, d’authenticité. En ce sens, par ses lignes et son inimitable patine, la vasque dessinée par un grand nom du design italien dans les années 1970 se distingue des productions industrielles volumiques répondant désormais à des besoins et à un goût mainstream, mondialisé, banalisé. Au même titre qu’une veste de couturier vintage réalisée sur commande ou en très peu d’exemplaires pour une certaine élite, l’objet iconique est incarné, témoin nostalgique d’une époque, qu’il ait été produit en petite série ou non. Et ce supplément d’âme permet à son propriétaire de se différencier à son tour, en personnalisant son intérieur.
Afin de restaurer ou de recréer une salle de bains rétro (mot-valise loin d’être seulement attaché au style 1900), certains traquent sans relâche les annonces pour trouver la salle de bains de leurs rêves, comme ces kitchissimes ensembles lavabo-baignoire-cuvette en rose, bleu, mauve ou vert pâle qui sont un cauchemar pour d’autres ! Sur Facebook (Vintage Bathrooms, Mid Century Bathrooms, Sapce Age design…) et Instagram (#vintagebathroom, @vintagebathroomlove…), ces group(i)es sont à l’affut de ces trouvailles, s’échangeant photos et catalogues d’époque.
En vue sur le Net
Alors que sur les sites de vente entre particuliers (Le Bon Coin, ParuVendu…), le tout-venant est proposé au plus offrant au prix d’une fastidieuse recherche, pour ne pas dire d’une fouille, dans le meilleur des cas (mal) indexée, les plateformes de brocante en ligne commencent à offrir une visibilité à part entière à la plus intime des pièces. Depuis quelques mois, Selency, la référence du genre, lui dédie même une section spéciale de la catégorie Meubles, présentée comme un véritable « plaidoyer pour une place accordée aux meubles et objets déco anciens dans la salle bains ». En introduction, Selency confirme le credo d’un humour enjoué : « Un joli meuble de salle de bains c’est le b. a.-ba pour donner du style et de la personnalité à cette pièce. Alors non, on ne s’en lave pas les mains. » En vue sur le Net, pour susciter l’envie !
Fini les annonces rédigées maladroitement, avec photos floues et descriptif incomplet, voire abscons. Quand elle est identifiable, la marque est au contraire mise en avant, idem avec le designer ou encore le courant stylistique ou le contexte sociétal, ces informations clés étant valorisables, commercialement. Dans une approche calquée sur les notices descriptives rédigées pour les catalogues de ventes aux enchères, ce travail de documentation établi par le vendeur et/ou des experts (comme sur la plateforme d’enchères Catwiki), participe, mine de rien, à la reconnaissance d’une culture de la salle de bains à travers les âges !
Des pièces pour collectionneur
Certaines pièces, muséales, sont des antiquités qui témoignent de l’évolution de la toilette, telle cette baignoire en cuivre à dessus en bois canné, typiquement XVIIIe (en photo), mise en vente 2 700 euros sur Selency ou encore ce luxueux meuble de toilette provenant du mythique train Trans Europe Express qui, fabriqué dans les années 1928/1935 et décrit comme « une pièce unique pour collectionneur », au prix (initial) de 20 000 euros, tout de même (en photo).
D’autres sont – et reste(ro)nt – des ovnis, appréciés pour la singularité de leurs formes, couleurs et matériaux ou leurs innovations techniques, à l’instar de l’originale vasque en multiplis de bouleau Gabbiano, dessinée par Giuseppe Pasquali pour Agape en 1994 (justement mise à l’honneur par le dernier Cersaie au travers de l’exposition commémorative Route 40). Sous l’offre de départ, fixée à 375 euros sur le site Catawiki, il est indiqué, alors que nous publions cet article, que le prix de réserve n’est pas encore atteint par les enchérisseurs et que l’expert qui a « sélectionné » l’objet a estimé sa valeur entre 1 000 et 1 500 euros, dans la même fourchette qu’un beau lavabo double vasque sur pied central des sixtie’s (en photo). Avec son design organique, celui-ci aurait sans doute été (et pourrait l’être encore) étiqueté 20 fois moins il y a peu : l’amorce d’une spéculation ?
Des pièces millésimées qui tirent la valeur vers le haut
Le marché de la salle de bains vintage de seconde main, loin d’être mature, n’est en revanche d’évidence pas facile, en témoigne par exemple cet insolite meuble de la marque CRB Arredamenti (en photo) constituant un « rare ensemble seventie’s » actuellement bradé à moins de 1 500 euros et que nous avions repéré depuis déjà quelque temps. Sa valeur amputée de moitié depuis sa mise en ligne, ce point d’eau aussi spectaculaire que segmentant a sans doute le relatif défaut d’être grand, donc difficile à implanter avec les 2,30 m de son meuble vasque, encadré de surcroît par une paire de colonnes de rangement. Salle de bains oblige, un tel meuble ne se (dé)place pas avec la même facilité qu’un fauteuil ou une lampe… Nul doute cependant qu’il finira par taper dans l’œil d’un amateur éclairé avec ses portes hublot !
Aux côtés de ces pièces d’exception, considérées comme des symboles historiques, d’autres plus modestes, suscitent également la curiosité – mère de la convoitise – sur la Toile. Pour quelques dizaines d’euros, elles sont auréolées d’une certaine nostalgie pour un passé pas si lointain, donc familier : miroir à cadre plastique au look Space age et armoires de toilettes de chez Allibert, sets d’accessoires fleuris des marques Syla (en photo) ou Gilac… A chacun sa madeleine du bain !
Photos : En ouverture, sélection d’objets vendus sur Selency ; post de Christian Schwede sur le groupe Facebook Space Age Design ; meuble de la marque CRB Arredamenti vendu sur Selency.