Alors que le déconfinement entre dans sa deuxième phase, voici, résumés, les points de vue, observations et retours d’expérience d’une dizaine de fabricants français de la filière salle de bains. Pour le monde d’après…
La production. Dans la plupart des usines, la production, quoi que ralentie, s’est poursuivie, afin d’honorer les commandes en cours et de livrer, autant que possible. « Aucun de nos sites n’a fermé, explique ainsi Hervé Froment, directeur commercial de Delabie. Au plus bas, nous sommes descendus à 30 % d’activité. » Mais cette activité s’est poursuivie uniquement sur la base du volontariat : « la peur était palpable », se souvient un autre fabricant. Toutefois, certaines usines ont tout de même fermé, par exemple celle d’Ambiance Bain, qui s’est efforcé de maintenir le lien avec les salariés en chômage partiel – parce que « nous sommes une entreprise familiale » – en créant un compte WhatsApp qui, au fil des semaines, a fait son chemin, fédérant de plus en plus de collaborateurs.
Photos, de gauche à droite et de haut en bas : Céline Boyer (Wirquin), Hervé Froment (Delabie), Thierry Vivier (Presto), Stéphane Cinier (Cinier), Manuel Rodriguez (Kramer-Horus), Stephan et Manuel Ghirardello (Ambiance Bain), Arnaud Valentin (Valentin), Patrick Plutta (Cristal & Bronze).
Indépendamment de tout patriotisme économique, les entreprises ont pu mesurer les risques liés aux approvisionnements lointains, même si le confinement a grandement atténué le problème. C’est par exemple le cas de Presto qui, avec ses trois usines – deux en France et une au Portugal –, se pensait, explique Thierry Vivier, directeur marketing, « à l’abri des conséquences de l’arrêt brutal de la production en Chine. » C’était sans compter avec « certains fournisseurs qui s’affirmaient Européens, mais ne l’étaient en réalité pas tant que ça… » Les stocks se sont donc révélés plus que stratégiques pendant la crise. Ils le sont tout autant aujourd’hui, notamment pour les spécialistes de la robinetterie sans contact : « Nos entrées de commande dépassent celles de 2019, nous naviguons à vue », constate Hervé Froment (Delabie). Dans une interview filmée, Manuel Rodriguez, président du groupe Kramer, se veut rassurant : « Nous disposons de stocks de sécurité, qui nous permettent de livrer nos clients jusqu’à deux mois de consommation », donc de répondre présent immédiatement si la reprise de l’activité s’avérait soutenue.
Valentin qui, il y a quelques années, a relocalisé toute sa production dans son usine de Friville-Escarbotin (Somme), s’est vu conforté dans sa démarche, envisageant même d’intégrer une ligne de chromage sur le plastique. L’étude est en cours : « Nous avons le savoir-faire », explique Arnaud Valentin, « et nous pourrons maîtriser les délais, donc le taux de service, qui est devenu le nerf de la guerre. »
Le télétravail. « Nous étions très en retard sur le télétravail et nous allons mené une réflexion plus profonde sur ce sujet », assure Céline Boyer, directrice commerciale et marketing Wirquin. Ce mode de travail free lance va sûrement se développer, dans toutes les entreprises. Nombre d’entre elles vont maintenir les visioconférences, y compris pour les managers, qui ne seront plus contraints de rejoindre les sièges sociaux parfois jusqu’à deux fois par semaine. Bien sûr, les réunions physiques vont se poursuivre, mais quand elles s’imposent véritablement.
Le digital. C’est sans doute la révélation de cette crise sanitaire : le digital est devenu essentiel pour tous. Car si les ventes se sont poursuivies sur Internet, c’est chez les pure players, puisque les points de vente physiques, sur lesquels toute l’activité du négoce (et des GSB) est assise, sont restés fermés. Ainsi, les industriels qui ont fait le choix de vendre exclusivement par le canal professionnel en ont pâti.
« De même que la salle d’expo s’est progressivement tournée vers le consommateur, le digital va prendre de l’ampleur, et pas seulement auprès des installateurs » assure Stéphane Cinier, directeur des ventes de Cinier, qui s’étonne du nombre de commandes qui peuvent arriver via Internet, sans que le produit ait été simplement vu.
Chez Allibert, l’activité e-commerce a également progressé. Et non seulement la baignoire se vend bien sur le web – parce que le produit, parmi les plus encombrements de la salle de bains, est livré –, mais le panier moyen est globalement supérieur par rapport aux ventes dans les magasins, « grâce à une offre visible plus importante », remarque Christophe Deleporte, directeur commercial de la marque. En fait, dès lors que la baignoire est un achat plaisir, elle est volontiers accessoirisée, pour un meilleur confort.
Les magasins. Le drive et le click & collect vont probablement progresser et rentrer dans les mœurs, et le magasin sera mis à contribution, évoluant. La livraison directe par les fabricants des 80/20, en agence ou chez le client, aussi. L’essentiel pour l’artisan, c’est que le produit soit bien là où il doit être à la date prévue. La livraison directe de la part des fabricants, qui a déjà cours dans la grande distribution, est un moyen d’élargir l’offre sur les produits non stockés. Plus généralement, la livraison doit être considérée comme faisant partie du produit, et le client devrait de plus en plus souvent disposer de plusieurs solutions quant aux moyens de récupérer son achat.
Les conséquences économiques de la crise. Les entreprises fragiles le sont encore plus, qu’elles fabriquent, distribuent ou installent. Certaines ont d’ailleurs perdu « leur Coface », s’inquiète un fabricant. A tous les niveaux de la filière, les risques d’impayés existent, que chacun essaie de prévenir. Mais une autre crainte apparaît en filigrane, liée aux BFA que les entreprises en position de faiblesse sur le marché, c’est-à-dire numéro 3 ou 4 dans les plans de vente, ont peur de devoir verser, alors même que les volumes de ventes ne seront pas atteints…
Les relations commerciales. Les forces de vente ont été mises en chômage partiel, leurs interlocuteurs naturels étant absents et les rendez-vous physiques suspendus. Redéployées en mode sédentaire, elles ont pratiqué le télétravail. Une méthode inédite pour elles, qui leur a permis de découvrir que oui, il est tout à fait possible de maintenir un lien commercial par téléphone. S’il est nulle part question de faire de cette distanciation professionnelle une routine, il est fort probable que les contacts téléphoniques ou par visioconférences fassent désormais partie intégrante de la démarche commerciale, s’ajoutant aux rendez-vous physiques, libérant du temps pour les commerciaux, qui pourront ainsi mieux gérer leurs agendas.
Et demain ? « Le budget vacances va-t-il cette année être transformé en budget rénovation » interroge Christophe Deleporte (Allibert). Ce n’est pas impossible si l’on tient compte du million de transactions immobilières qui ont eu lieu en 2019. Concernant l’hôtellerie, y compris à l’export, les prévisions sont plus pessimistes, les grands groupes hôteliers et leurs fournisseurs n’envisageant pas de redémarrage avant… 2 ans ! En revanche, nuance Patrick Plutta, directeur général de Cristal & Bronze, « les décorateurs et architectes ont continué à travailler chez les particuliers. » De même que les installateurs.
Les fabricants sont attentistes concernant les salons professionnels : les investissements sont conséquents et nul ne sait si les visiteurs seront au rendez-vous. Nombre de budgets communication sont en cours de révision…