Roth commercialise Vinata en fanfare ! Décryptage d’une pub qui, marquée par un tempo effréné en écho à sa rapidité d’installation, accompagne le lancement de la cabine de douche sur le marché très disputé du remplacement de baignoire.
Du 22 mai au 11 juin 2018, une campagne télé va accompagner le lancement de la nouvelle cabine de douche Vinata de Roth France. Destinée aux seniors dans sa version Comfort, elle remplace la baignoire en une journée et entend répondre « à deux besoins : moderniser et surtout sécuriser la salle de bains qui constitue l’un des plus grands risques de chutes au domicile. » Au-delà de sa dimension commerciale, ce film publicitaire affiche une autre ambition, laquelle repose sur le couplage (délicat) du développement de l’image de marque à une promotion pétulante du produit.
Pas d’âge qui plombe l’image
Si Vinata a fait de la prévention des chutes et de l’aide au maintien à domicile son credo, comment illustrer l’aspiration à « faciliter et sécuriser le quotidien d’une population vieillissante qui préfère rester chez soi plutôt que d’aller en maison de retraite », sans tomber dans le travers de la stigmatisation ? Pour incarner le grand âge et la problématique des PMR sans plomber l’image, la publicité met en scène un véritable « télégénie », un « modèle » au sens exemplaire du terme. Interprétant un personnage boute-en-train, sorte d’infatigable lutin/mutin qui (se) joue manifestement de la satire, une sémillante septuagénaire entame d’emblée une chorégraphie endiablée, rythmée par une succession rapide de plans. A vive allure, le spot déroule les images et les idées, suivant les facéties de ce « spécimen » (en tant qu’individu donnant une idée de l’espèce à laquelle il appartient tout autant que pour l’originalité de son comportement).
In nomine batterie
Comme pour mieux conjurer les difficultés de locomotion qui conduisent à la dépendance, cette dame s’évertue à demeurer en perpétuel mouvement : elle prend paradoxalement la pose sans jamais se poser, manière d’illustrer la notion de mobilité, clef de voûte essentielle d’un maintien à domicile. Ces aptitudes corporelles sont une preuve d’autonomie fonctionnelle, un rempart à l’isolement social, à l’aseptisation d’une existence qui, privée de risques, s’en trouverait vide de sens.
Assurant le show avant la caution pratico-technique qui fera la part belle à l’installateur, elle se produit à l’écran à la manière d’une « vedette américaine », assurant l’exacte première partie du spot. Même brièvement assise sur le siège, miss Jouvence agite ses bras et bat la mesure de façon énergique (bravo pour la performance d’Air Batterie !). Outre ces percussions singulières (à la fois mimées et sonores), qui évoquent le roulement de tambour de l’antique crieur et placent l’attention du spectateur en attente de la future « annonce », l’air allègre qui accompagne ses actions dans l’espace est un morceau jazzy où la trompette relève davantage du swing cirquassien que de la sonnerie aux morts ! Une orchestration énergique qui fait immanquablement penser à la musique composée par Justin Hurwitz pour le film « La La Land » de Damien Chazelle…
La danse de la vie
Pour ce « clown générationnel » passé maître dans l’art de l’auto-dérision et qui a tout d’une Ginger Rogers sans son Fred Astaire, il ne s’agit certainement pas de décliner chez soi en subissant la funeste dégradation de son état mais plutôt de s’y « sentir en confiance » et d’y vivre, à fond, en étant un acteur/moteur de sa propre réalité (ce qui sous-entend la prise de décision préalable à l’acte d’achat à venir). Pour cela, le produit (dé)montré balance des arguments complices : receveur anti-dérapant, poignées d’appui, siège repliable… Entre preuve et témoignage vivant, ils sont les alliés (pour ne pas dire les auxiliaires « aidants ») de cette folle farandole qui a valeur de démonstration. Même pas peur ! Dans cette musicale comédie qui adresse un pied de nez à la chute, chaque déplacement se mue en pas de danse cadencé avec, à l’appui, de gros plans sur d’agiles petits petons. Notons que sous le détail de surface se cache parfois un puits sans fond : s’attardant un instant sur les ongles soigneusement vernis, l’on imagine volontiers un clin d’œil un rien fétichiste aux doigts de pied bariolés de Rose DeWitt sur lesquels la caméra de James Cameron se pose furtivement en introduction à la séquence finale du film « Titanic », lorsque l’héroïne choisit secrètement de laisser choir dans les abysses le diamant bleu tant convoité par les chasseurs de trésor. Une prise de (point de) vue qui suffit à clamer que le grand âge (102 ans, en l’occurrence) n’est pas un naufrage pour qui reste « capitaine » de son propre capital…
Quand fraîcheur rime avec bonheur
Comme sont ses lèvres animées de sourires incessants, les cheveux de la comédienne affichent une couleur ardente, en phase avec le feu follet qu’elle personnifie. Le rouge (sanguin) symbolise ici la perpétuation de la vie, a contrario du blanc qui eut été un marqueur temporel négatif. Chacun sait qu’avec le vieillissement, la dépigmentation des cheveux et des poils se produit lorsque, en proie à la spectrale canitie, les mélanocytes (cellules donnant la teinte naturelle aux cheveux) cessent de secréter de la mélanine.
Dans cette succession enfiévrée de scènes, la santé forme un binôme pétillant avec la gaieté, la douche devenant promesse d’hygiène et de bien-être. Un scénario à l’image de la salle de bains qui n’est plus seulement un laboratoire neutre participant à la toilette des chairs mais un lieu d’épanouissement personnel, un endroit où puiser du bonheur (sinon le), une vraie quiétude d’âme.
Du corps au « care »
De corps, il est encore fortement question dans cette quête du bonheur, même si ne nous sont donnés à voir que des « morceaux » choisis, à l’instar des pieds, instruments d’une pantomime aphone (du grec pantomimos, qui imite tout), au même titre que les mains et les bras que l’on peut pourtant qualifier de « volubiles ».
C’est l’habit qui fait ici le curiste, « enveloppe » le besoin de se détendre, de se mettre à l’aise. Tel une seconde peau, le peignoir blanc est un objet symbolique, un vêtement intime associé au rituel de purification (physique, psychique) de la salle de bains, au chic des plus grands hôtels, aux spas et autres lieux où le corps et l’esprit sont associés au « care », à la détente par excellence. La Route des Villes d’Eaux du Massif Central, association regroupant 17 stations thermales d’Auvergne, a d’ailleurs récemment lancé une marque promue par une série de fictions décalées : « Accros du peignoir ». Ses concepteurs, Marie-Pierre Demarty et Sébastien Saint-Martin, placent le peignoir à la jonction entre « la version cure médicale et la version bien-être et cocooning », et de rajouter qu’il « renvoie tout de suite à l’idée de bien-être mais pas de façon trop esthétisante comme dans des images de pub. Il y a aussi un côté légèrement ridicule, une mise à nue, on se montre tel qu’on est quand on porte le peignoir » (source lebienetrepourtous.com). Dans sa grande simplicité (on notera tout de même le décolleté dentelé de la nuisette portée en-dessous), le peignoir de Madame 100 000 volts met donc à nu et revêt, mais sans excès d’artifice, comme pour toucher en douceur (éponge oblige) le plus grand nombre.
De l’action à l’élocution
De l’habit à l’habitat, il n’y a qu’un pas, vite franchi. S’agissant de rénovation, un expert est convoqué à la 10e seconde. Antithèse du premier personnage dont les gesticulations muettes étaient accompagnées de musique, légendes et commentaires en voix off, l’installateur est désigné par un unique attribut vestimentaire : l’iconique salopette bleue. Lui, ne bouge pas. Il prend la parole en plan rapproché et s’adresse à nous avec sérieux et fermeté (ou plutôt avec aplomb, pour employer sans jeu de mots un qualificatif propre à sa profession). Seuls ses bras accompagnent sa voix, posée. Cette figure en buste (et non plus filmée « de pied en cap » et en plan large, comme dans les musicales des années 1930) est « habitée » par un même élan, bien que fixe : le débit de son propos paraît calquer son rythme sur celui de la « Java de Broadway » du commencement.
Dans le second volet, l’élocution rivalise avec l’action, invitant à prendre contact, à agir sans plus attendre dans sa direction. A l’intention du client, les informations sur la commande fusent, relayées depuis le début à l’écran par un texte défilant (à vitesse peut être excessive) ainsi qu’un avant-après projeté dans un cercle-chronomètre, validant montre en main l’engagement d’une « installation réalisée en une journée ». Effet bonus, ce dispositif horloger instaure un habile sentiment d’urgence : puisque rien n’arrête la course du temps, il s’agit de faire vite (et bien). Aucune allégation sur les spécificités techniques n’étaye (ni ne brouille) le serment commercial. Il faudra consulter le site dédié pour en savoir plus sur le « système de fabrication innovant breveté ».
Etre un phénix
S’agissant de rénovation, Roth a placé son innovation sous d’inspirants auspices. Choix mûri ou pas, cette « cabine de douche sécurisée qui remplace la baignoire en une journée » porte en effet le nom d’une divinité du panthéon zen : Vinata, la mère de Garuda, homme-oiseau fabuleux de la mythologie hindouiste puis bouddhiste, qui est aussi l’emblème national de la Thaïlande. Quel rapport avec le sujet me direz-vous ? La symbolique de ce grand aigle légendaire est à rapprocher de celle du phénix, synonyme de transformation et de vie éternelle. Pas si mal venu pour un produit qui aspire transformer la salle de bains tout en accompagnant le maintien à domicile des plus âgés, non ? Plus prosaïquement, sur le marché ultra bataillé du remplacement de baignoire, se positionner tel un « phénix » ne peut pas nuire, s’agissant d’une « personne douée de qualités exceptionnelles, que l’on considère comme unique en son genre, un modèle parfait de quelque chose ». Et c’est le très sérieux Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales qui le dit.