Lancée en début d’année par le groupe Geberit, la campagne internationale sur les WC lavants se distingue de prime abord par son minimalisme. Si d’un point de vue formel, elle joue l’épure, elle n’en est pas moins riche de sens. Décryptage d’une publicité originale, qui utilise des codes puissants pour faire sortir les toilettes de leur « petit coin ».
Axés sur « le besoin de se ressourcer, de partager une découverte et de vivre une expérience », les trois spots qui étayent la campagne TV et réseaux sociaux des WC lavants Geberit AquaClean se concentrent sur trois personnages (deux femmes et un homme). Offrant une précieuse matière à identification aux profils de CSP plus ou moins indicés (+, ++…), qui sont logiquement la cible de cette communication, chacun incarne le porte-parole muet (mais sous-titré, message oblige) d’univers distincts : « fierté, confort et technologie ». Véritable leitmotiv, un sentiment mutuel relie ces archétypes sociétaux : la confiance intimisée, matrice revendiquée de la campagne (My Confidence, en anglais).
Renforcer la conviction
Dans une habile mise en abyme, cette confiance qui associe la marque à ses trois modèles (les expérimentateurs de la précédente campagne — « Ma première fois » – ont laissé place à des comédiens présentés comme tels) est mise à l’épreuve, au « propre » (c’est le cas de le dire) comme au figuré, par un artifice visuel : le WC lavant n’est révélé qu’en toute fin de film, précédé par un croquis stylisé apparu progressivement à l’écran alors que les personnages s’étaient jusqu’alors assis… dans le vide. Ou comment, de façon insolite et pertinente, symboliser tout à la fois l’abandon (de soi) à la marque et la réponse imparable (assurée et rassurante) de celle-ci à ses créanciers (au sens de ceux qui rendent, avec foi, le message « croyable », véridique).
Donner à voir et à vivre le caché
Aussi spéciale que spatiale, cette publicité nous fait pénétrer ce qui d’ordinaire ne l’est pas, et ne doit pas l’être. Au-delà de la fonction d’aisance qu’elles accueillent, les toilettes représentent un refuge, un lieu d’isolement qui permet de s’extraire au monde un moment, un havre de tranquillité tout à soi où l’on peut s’estimer « enfin seul ». Et l’être en principe. Partageant avec nous l’un de ces « rêves éveillés » et silencieux qui jamais ne s’échappent d’ordinaire de la sphère intérieure, la publicité transcende la frontière entre cet espace-temps éminemment privé et la chose publique. Ici, pas de murs ni d’arrière-plan pour signifier de limites à la perception et donner à entrevoir un « envers du décor » (illusion, l’image cache sciemment ce qu’elle ne montre pas), mais un fond coloré (gris-vert, bleu) dont la grande neutralité facilite les projections (celles de notre inconscient de potentiel acquéreur). Une manière astucieuse de donner à voir – et à vivre – l’insondable, le caché.
Sujets d’expérience
Cet espace n’existe que par ce qui le remplit ; jamais dénudés mais au contraire « costumés » (les vêtements comme enveloppe sociétale qui les positionnent en qualité de consomm’acteurs et font du WC lavant le symbole de leur réussite), les personnages-messages évoluent au cœur de l’image. Ils sont en mouvement et « dans le vent » à l’instar de leurs chevelures. Vivante pour ne pas dire organique, cette matière capillaire visiblement soignée est le véhicule d’une hygiène dont la démonstration est a contrario impossible. Elle est aussi, marketing oblige, l’artifice d’une sensualité exacerbée par une gestuelle très tactile, qui relève certainement moins du coiffage que de la séduction.
Le sensible devient tangible
Jenny, John et Hilary (ce sont les prénoms de ce trio de quadra-quinqua-et-au-delà) se déplacent dans un cadre indéterminé mais serein qui tend à l’évanescent, sans haut, ni bas, ni barrières latérales, et avancent vers nous, se rapprochent, sans jamais nous voir ni chercher à atteindre notre regard. Ils vivent « leur » moment. Tel un objet animé (en lieu et place du « produit » qui ne le sera bien que plus tard), leur corps représente un sujet d’expérience, de soi mais aussi du monde au travers de cette trans-utilisation « imaginaire » du WC lavant, dont les fonctionnalités ne sont pas détaillées pour au contraire mettre en scène les émotions, le ressenti. Positionné sur le haut de gamme, le modèle Maïra personnifie physiquement « LE » WC lavant, en représente la quintessence sans avoir à « justifier » de ses qualités techniques. Pour Geberit, il ne s’agit pas d’œuvrer de façon didactique au développement du marché du WC lavant mais de s’adresser à sa cible la plus aisée, dans une action marketing qui s’appuie de façon plus rhétorique que démonstrative sur la confiance, la fierté, le confort et la technologie.
Nourrir le désir
Hors champ, le spectateur pénètre ce qui a l’apparence d’un sanctuaire de confiance sans en troubler la quiétude et l’action, sans que son indiscrétion ne vire au voyeurisme. Bercé par une musique originale dont les paroles soutiennent subtilement le propos de la marque, il entre simplement dans un rêve qui n’est pas (encore) le sien : jouir par procuration de cette « sensation de fraîcheur et de propreté » promise par le WC lavant, « source de confiance et de bien-être ». Le désir d’appropriation étant ici la véritable matière de cette fiction teintée d’onirisme et de félicité, la publicité sert efficacement d’interface entre cet objet et le futur acquéreur potentiel, suivant les axes directeurs des différents messages délivrés par les personnages des 3 spots de cette saga signée Geberit AquaClean.
La campagne en bref
♦ 3 spots, 3 personnages, 3 messages :
Hilary (Fierté) : « Les gens m’envient pour mes toilettes. »
Jenny (Confort) : « J’avoue, je suis totalement convaincue. »
John (Technologie) : « Mes toilettes en mode mains libres. »
♦ Spots : 6, 15 et 30 secondes.
♦ Tournage : 3 jours à Zurich.
♦ Réalisateur : Marco Grob, photographe suisse et portraitiste reconnu de célébrités (Barack Obama, P!nk, George Clooney ou encore Steve Jobs en Une du Time…), qui a notamment reçu en 2012 un Emmy Awards pour son travail « Beyond 9/11 : Portraits of Resilience ».
♦ Campagne France 2018 : France 5, sites web de décoration, réseaux sociaux.