Le constat est accablant : tout niveau confondu, les sanitaires des établissements scolaires font l’unanimité contre eux, leurs usagers dénonçant pêle-mêle un manque parfois criant d’hygiène, de matériel, d’équipement, d’intimité, de sécurité… Des lieux anxiogènes qu’à tout âge les élèves évitent autant que possible, quitte à nuire à leur santé… et à leurs études.
Dans son chapitre consacré à « L’environnement dégradé de l’école », le rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) Pour des élèves en meilleure santé (2018) pointe le fait que « la section a été alertée par de nombreux.ses auditionné.e.s sur la situation souvent déplorable des sanitaires dans les établissements scolaires. Ils sont parfois même inaccessibles. Leur bon état est pourtant une condition du bien-être et de la bonne santé des élèves. » [1]
Partageant ce triste constat, le rapport Essity de l’Ifop (2018) n’y va pas par quatre chemins pour dénoncer le problème : « nous faisons supporter à nos enfants, à raison de 35 heures par semaine en moyenne, des conditions d’hygiène aux toilettes qu’aucun adulte ou parent ne serait prêt à endurer dans son cercle familial ou professionnel. » [2] Un parallèle repris en chœur par Rodrigo Arenas Munoz, président de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) dans les colonnes du magazine Flush qui a consacré un dossier central bien documenté au sujet (2019), déclarant qu’« on fait subir aux enfants ce qu’aucun adulte ne tolèrerait sur son lieu de travail. » [3]
Un équipement sous-dimensionné
Si, du point de vue de son fonctionnement et de sa gestion, l’école n’entend pas devenir une entreprise comme les autres, il n’empêche que la comparaison avec le monde du travail permet de prendre conscience de l’insuffisance chronique d’équipements dans les établissements dévolus à l’éducation. Tout employeur est en effet tenu légalement de mettre à disposition des salariés les moyens d’assurer leur propreté individuelle. L’article R4228 du Code du travail précise que le nombre de cabinets, d’urinoirs et de lavabos à installer est fonction de l’effectif maximal d’employés présents simultanément dans la société : deux WC sont requis pour vingt femmes et un WC et un urinoir pour vingt hommes. [4]
Le rapprochement entre école et entreprise ne peut pourtant se faire sur le plan législatif : à défaut de normes spécifiques aux établissements scolaires, la référence en matière d’organisation de l’espace dans les constructions d’écoles serait un document incitatif daté de… plus de trente ans. Le Guide de programmation fonctionnelle (1989) édité par le Centre de conseils techniques aux collectivités territoriales (CCTCT) préconise notamment un jet pour vingt élèves au point d’eau des cours élémentaires et un nombre de WC qui varie selon le genre : un WC pour vingt filles, tandis que les garçons devraient se partager un WC pour quarante et un urinoir pour vingt. Pour l’école maternelle, la recommandation se cantonne à la surface des « salles de propreté », soit environ 16 à 17 m² jusqu’à trois classes, 50 m² pour trois classes, puis 5 m² en plus par classe au-delà. [5]
Le calcul est aussi simple qu’édifiant si l’on met en perspective les deux textes : le ratio école/entreprise affiche une différence de 100 %. En clair, dans les sanitaires des écoles, à population égale et sans qu’évidemment ce déficit ne soit lié à des besoins physiologiques moindres, il y aurait donc potentiellement deux fois moins de toilettes (à condition de surcroît que celles-ci soient ouvertes et/ou fonctionnelles, ce qui est un autre problème) ! Un équipement d’autant plus sous-dimensionné qu’il est soumis à une utilisation intensive à des créneaux précis, c’est-à-dire aux heures des récréations (autour de 15 minutes dans le primaire comme dans le secondaire) et durant la pause méridienne pour les demi-pensionnaires (laquelle se résume parfois à moins de 30 minutes, déjeuner compris, lorsque l’emploi du temps est chargé).
Un lieu mal-aimé
Quand bien même les sanitaires à disposition seraient en nombre suffisant pour répondre aux besoins des élèves, le ressenti est tel que peu s’y pressent. Pourquoi ce désamour ? En novembre 2019, Harris Interactive a réalisé pour Harpic une étude consacrée à la Perception des toilettes de l’école, conduite auprès de 602 enfants âgés de 6 à 11 ans. Les élèves du primaire interrogés évoquent un lieu qui sent mauvais (66 %), sale (59 %), où il fait froid (59 %), où ils sont susceptibles d’être embêtés par d’autres (51 %) en l’absence de surveillance (48 %).
En conséquence, les élèves sont 51 % à éviter les toilettes, notamment à cause de la gêne ressentie pour demander la permission (51 %), 6 % seulement osant y aller pendant la classe (68 % pendant les récréations, 6 % les deux). De fait, pour 70 % d’entre eux, se rendre aux sanitaires de l’école est vu comme « plus compliqué qu’à la maison ». 55 % avouent n’y aller que lorsqu’ils n’arrivent plus à se retenir et majoritairement pour n’y faire que pipi (69 %). Pire, ils sont 5 % à confesser ne jamais s’y rendre, se retenant, tandis que 81 % indiquent le faire « au moins de temps en temps » pendant leur journée d’école, ce qui leur semble difficile (70 %), leur fait mal au ventre (67 %), nuit à leur concentration sur le travail (64 %), voire leur donne envie de pleurer (15 %). [6]
Le danger de la rétention
Même son de cloche à l’entrée en 6e dont les échos sont tout aussi inquiétants. Les collégiens (791 élèves de Loire âgés de 12 à 16 ans) sondés dans le cadre d’une enquête de la revue Santé Publique (2014) dont l’objectif était « de mesurer la prévalence de symptômes digestifs et urinaires chez des collégiens et d’évaluer leur perception et leur utilisation des toilettes au collège » ont eux aussi massivement répondu par la négative, ne s’y sentant pas en sécurité (62 %), les garçons arguant que leur intimité n’y était pas respectée (54 %), faute de cloisons séparatives entre les urinoirs.
Les résultats de l’étude sont édifiants : alors qu’ils y passent l’essentiel de leur journée, un peu plus du tiers des élèves interrogés ne fréquentaient jamais les toilettes de leur collège (34 %), 21 % se refusaient à les utiliser pour uriner et 85 % n’allaient jamais à la selle au sein de l’établissement. Des comportements de rétention urinaire et fécale qui déclenchent des douleurs abdominales (28 %) et engendrent des difficultés de concentration dans une proportion équivalente (29 %).[7]
Pour rappel, il est admis qu’une personne en bonne santé, sans distinction entre enfants et adultes, se rend en moyenne six ou sept fois aux toilettes par 24 heures pour faire pipi, soit environ toutes les 3 à 4 heures en journée…
Manque de papier, de savon…
En englobant le lycée, les griefs sont sensiblement les mêmes, l’adolescence apparaissant comme un facteur aggravant du tabou des toilettes. Le rapport 2013 de l’Observatoire national de la sécurité et de l’accessibilité des établissements d’enseignement s’est lui aussi penché sur les sanitaires dans les établissements du second degré via sa commission « sécurité, santé, hygiène et sport ». Il ressort de cette enquête auprès de 16 000 établissements publics et privés sous contrat que les élèves se plaignent eux aussi du manque de papier (42 %), mais aussi de savon (25 %), rendant impossible l’application du premier des gestes barrière, pourtant essentiels (ne serait-ce que pour endiguer les épidémies de gastro-entérites) et l’absence de séchage pour les mains (15 %)… Les étudiants se disent aussi incommodés par les odeurs (32 %) et le manque de propreté (23 %), et signalent le matériel dégradé (19 %) et le non-respect de l’intimité (12 %), surtout chez les garçons. [8]
La question de l’entretien… versus un mauvais usage ?
L’étude souligne aussi que « la liste des désagréments principaux fréquemment ressentis par les élèves diffère de ce que l’établissement indique généralement, voire le contredit. En effet, collèges et lycées disent mettre à disposition du papier toilette et du savon ainsi que de quoi s’essuyer les mains (respectivement à 90 %, 81 % et 93 %). Cette différence peut résulter de difficultés dans le suivi du nettoyage, de la maintenance et de l’approvisionnement en consommables notamment face au gaspillage et à la dégradation de certains élèves. »
La responsabilité dépend sans doute de qui l’observe… Il n’empêche que, contrairement aux toilettes des stations d’autoroute, le ménage n’est pas fait au fil des heures en fonction du flux d’utilisateurs, mais une fois par jour, en général lorsque l’établissement ferme ses portes, pas après chaque « vague » de passages… Et que toutes les études (et les surveillants) confirment que plus les toilettes sont avenantes et fonctionnelles plus l’intégrité du lieu est respectée…
Un tabou… des remèdes
En préambule au Guide d’accompagnement de projets éducatifs relatifs aux sanitaires au collège et au lycée (2016), l’édito signé par Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche s’ouvrait sur cette phrase : « Le bien-être des élèves constitue un facteur clé de leur réussite scolaire et un axe majeur de la loi de refondation de l’école de la République. », ajoutant que « La responsabilité est à l’évidence collective car pour améliorer la situation, la démarche d’éducation doit accompagner la rénovation matérielle, la garantie de la sécurité et la propreté des sanitaires. » [9]
S’il reste encore à traduire ces bonnes intentions en obligations légales et réglementaires, le cahier des charges devrait nécessairement impliquer le respect d’exigences, à commencer par les contraintes essentielles en matière de sécurité et d’accessibilité au titre des ERP, mais aussi de bien-être et de confort. Ces exigences sont listées dans le rapport ONS 2018 [8], parmi lesquelles, les sanitaires scolaires devraient :
♦ résister à un usage intense et/ou abusif,
♦ permettre la surveillance des élèves,
♦ être confortables et silencieux,
♦ préserver l’intimité et être adaptés selon les sexes,
♦ être accueillants (éclairage, température, odeurs, couleurs…).
♦ être dotés de sols antidérapants,
♦ être dotés de plafonds nettoyables et non utilisables comme cachette (pas de faux plafonds accessibles/plénum…),
♦ être dotés de portes et cloisons respectant l’intimité,
♦ intégrer matériaux résistant à l’usure et au vandalisme, non poreux et imputrescibles, et des matières non inflammables,
♦ prévoir l’absence de joints altérables et de recoins non nettoyables,
♦ prévoir des siphons et canalisations non apparents mais accessibles pour la maintenance (galerie technique),
♦ prévoir des arrivées et évacuations d’eau avec un support pour poser un récipient pour l’agent d’entretien,
♦ mettre en œuvre des peintures et revêtements résistants et anti-graffitis,
♦ être équipés d’équipements sanitaires et électriques résistant à l’arrachement,
♦ être équipés d’une ventilation performante,
♦ être équipés de portes pleines résistant aux chocs, de portes ouvrables en cas d’enfermement, avec un dispositif de fermeture « décondamnable » de l’extérieur, battants ouvrant vers l’extérieur ou dégondables en place, dispositif anti pince-doigts, poignée ergonomique, verrou/loquet pivotant massif, bouton-poussoir solides adaptés à un usage intensif, voire brutal,
♦ être équipés de robinets à jets et flux à débit contrôlé ou temporisé, éclairage suffisant, détecteur de présence activant l’éclairage artificiel, température minimum de 18º C,
♦ être équipés de distributeur de papier-toilette nouvelle génération (rouleau découpé au fur et à mesure feuille par feuille), difficilement démontable, distributeur de savon automatique ou par pression, réservoir non accessible pour les élèves, séchoirs à cavité de séchage à air pulsé, distributeur de gel décontaminant (…).
Face à la vétusté de certaines infrastructures et à la nécessite de rétablir une relation saine entre les enfants et les toilettes en milieu scolaire, le chantier semble colossal… et coûteux. Une enquête parue dans Le Parisien (février 2020) révèle que la région Ile-de-France vient de « voter un plan d’urgence afin de les rénover pour 55 millions d’euros, sur un budget global dédié aux lycées de 1,28 milliard d’euros » pour lutter contre ce que l’article nomme à juste titre Le scandale des toilettes scolaires.
[1] Pour des élèves en meilleure santé, Avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE) présenté par Jean-François Naton, rapporteur et Fatma Bouvet de la Maisonneuve, co-rapporteure, au nom de la section des affaires sociales et de la santé, paru au Journal officiel de la République française, mandature 2015-2020, séance du mercredi 14 mars 2018.
[2] Toilettes à l′école : les enfants au bout du rouleau. Pourquoi l’hygiène des toilettes à l’école primaire n’est toujours pas une priorité en 2018. Rapport d’études qualitatives et quantitatives conduites pour Essity par l’IFOP, novembre 2018.
[3] Propreté, santé, intimité. Les WC, mal-aimés de l’école. Textes d’Elise Moreau, illustrations de Véropée, dossier paru dans le magazine Flush#4, septembre 2019.
[4] Code du travail – Article R4228-1, décret n°2008-244 du 7 mars 3008 – art (V), Quatrième partie : Santé et sécurité au travail, Livre II, Titre II, Chapitre VIII, Section I.
[5] Construire des écoles. Guide de programmation fonctionnelle et données techniques : école maternelle, élémentaire, groupe scolaire et petite école en milieu rural, Centre de Conseils Techniques aux Collectivités Territoriales (CCTCT) ; ministère de l’éducation nationale, 1989.
[6] Les enfants et leur rapport aux toilettes à l’école. Comment les enfants perçoivent-ils les toilettes de leur école ? Se sentent-ils à l’aise dans leur utilisation ? Quelles sont leurs méthodes pour affronter les situations délicates ? Etude Harris Interactive pour Harpic, novembre 2019.
[7] Toilettes au collège : moins j’y vais… et mieux je me porte ? Ressenti des élèves et prévalence des troubles urinaires et digestifs, enquête dans trois établissements de la Loire, Bénédicte Hoarau, Paul Vercherin et Christophe Bois, dans Santé Publique, revue de la Société française de santé publique (SFSP), 2014/4 (vol.26), en ligne sur Cairn.info.
[8] Rapport annuel 2013, Observatoire national de la sécurité et de l’accessibilité des établissements d’enseignement, Jean-Marie Schléret, président, et Robert Chapuis, rapporteur général.
[9] Guide d’accompagnement de projets éducatifs relatifs aux sanitaires au collège et au lycée, ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Eduscol, novembre 2016.
[10] Hygiène, Insécurité… Le scandale des toilettes scolaires, Maïram Guissé, Enquête IDF parue dans Le Parisien, lundi 24 février 2020.