Cernés par le coronavirus, de nombreux Français stockent le PQ alors qu’il n’y a pas lieu de redouter une rupture d’approvisionnement. De quoi le papier toilette est-il le nom quand le monde entier s’affole ? Chacun disposant d’une salle de bains, on peut s’étonner qu’il soit perçu comme un produit de première nécessité au mépris de la notion, essentielle en temps de crise, de partage des denrées.
Aux bruissements d’un probable confinement, l’inquiétude a gagné toutes les strates de la société, un mal invisible et indicible auquel les rayons vides des produits dits « de première nécessité » ont donné soudainement corps et réalité, dans les supermarchés et en nos têtes.
Entre achat de précaution et peur panique, les consommateurs se sont rués massivement sur le papier toilette, devenu en quelques jours, quelques heures, un peu partout dans le monde, une denrée rare, le symbole de la réclusion chez soi… et l’objet non seulement des courses, mais d’une course contre la montre et les autres. L’augmentation fulgurante de la demande a même conduit à des rixes dont les images hallucinantes et anxiogènes tournent encore en boucle, alimentant l’effroi tout autant que la rareté dudit bien, qui peut désormais, nos « voisins » Hongkongais nous l’ont appris, susciter des braquages, armes en main.
Des clichés viraux à la peur du virus
En (dé)montrant la possibilité (inconcevable d’ordinaire) d’une pénurie, les images devenues virales sur les réseaux sociaux et dans les journaux, y compris télévisés, ont instantanément créé une forme d’urgence, irrépressible : stocker de manière compulsive.
Stimulée par un syndrome d’anxiété sociale, cette réaction égocentrée revient littéralement à « emmagasiner » à domicile alors même que la chaîne d’approvisionnement n’est pas rompue. Elle met en surchauffe la mise en rayon, que le volume des rouleaux empaquetés par lots de douze ou vingt-quatre, qui nécessitent un réassort fréquent, complique déjà. Même si ces ensembles sous blister, indivisibles, ne facilitent pas la partition/répartition égalitaire, comme cela commence à se pratiquer déjà ailleurs (en Australie, les supermarchés Woolworths restreignent par exemple la vente à quatre paquets par personne), la réponse au comportement irrationnel de certains face au danger (et à la peur engendrée) passera sans doute par le recours au rationnement, pour le bien de tous.
Au bout du/des rouleaux
Pourquoi cette folie individualiste qui, par effet de masse, met à mal le collectif ? Alors que les stocks de pâtes répondent à un impératif de survie (manger, nul ne connaissant la durée de la crise), cet achat-panique vient d’un réflexe survivaliste dont les ressorts sont autres.
En cette période de pandémie où, à défaut de remède, l’isolement semble le meilleur rempart à la maladie, la peur de manquer de papier toilette est dictée par un commandement sécuritaire. Les toilettes sont connues pour être un lieu de transmission d’éléments pathogènes, où le corps évacue ses déchets malpropres et nauséabonds, et par extension un endroit symbole de contamination puisque l’environnement est un moyen de transmission potentiel. Défini d’ailleurs comme tel, le PQ assure une vraie mission hygiénique, au même titre que le lavage des mains, première des fameuses mesures « barrière ».
La presse, premier secours ?
Alors qu’à l’instar du Courrier Picard, la PQR ou presse quotidienne régionale insère des attestations de déplacement dérogatoire dans ses pages afin de fournir l’indispensable sésame aux lecteurs qui ne disposeraient pas de moyen de l’imprimer eux-mêmes, NT News, un tabloïd australien, est allé plus loin encore en offrant carrément… du PQ. Ou plutôt un succédané. Basé à Darwin, le Northern Territory News a en effet ajouté un cahier très spécial à son édition du 5 mars : huit pages vierges détachables « à utiliser en cas d’urgence » pour (et par) ceux qui seraient à court de feuilles d’ouate de cellulose. Une initiative teintée d’ironie et calibrée pour faire le buzz, mais qui en dit long sur la guerre du papier toilette qui fait rage et ronge le sens commun. Bientôt du PQ dans la PQR et le retour du bon vieux papier journal pour (re)faire des toilettes un cabinet de lecture à part entière, avec le livre pour fondement de la cul/ture ?
Photo d’ouverture : Nycshooter via istockphoto.com.
Excellent !