Où l’on découvre, grâce au coronavirus, que l’on peut vivre au pays du WC lavant et redouter une pénurie de papier toilette, que le bidet est un objet lavant comme un autre et que les stratégies pour en finir (vraiment) avec le PQ émergent sur les réseaux sociaux.
France, mais aussi Australie, Canada, Grande-Bretagne, Suisse, Hong Kong, USA…, la ruée sur le papier toilette engendrée par la crise du coronavirus en a surpris plus d’un, irrationnelle si l’on songe que pratiquement tous les logements de ces pays sont dotés d’une salle de bains dans laquelle, hormis en France, il n’y a pas loin entre la cuvette WC et le lavabo, la douche ou la baignoire…
Même au Japon où 70 % des foyers seraient équipés d’un WC ou d’un abattant lavant, les rayons PQ des supermarchés ont été dévalisés à l’annonce d’un possible confinement. Tout aussi inattendu, il apparaît que ce pays demeure un gros consommateur de papier toilette, avec 91 rouleaux (de 90 grammes) par personne en 2018, contre 141 aux Etats-Unis – champion du monde –, 134 en Allemagne, 71 en France et 70 en Italie (source Statista.com).
La crise du coronavirus le montre : l’utilisation d’un WC lavant n’empêche pas celle du papier toilette, quoi qu’en disent ses promoteurs, qui n’hésitent pourtant pas à faire vibrer notre fibre écologique. Pourquoi ? D’une part tous les modèles ne sont pas équipés de la fonction séchage, qui renchérit un prix déjà élevé ; d’autre part, lorsque séchage il y a, il exige du temps que l’on n’a pas toujours envie de passer sur le siège des toilettes…
Le monde s’intéresse au « bidet »
Il n’empêche, grâce au coronavirus, le monde entier s’est intéressé au « bidet » dont le mot, nous dit Google, a fait l’objet, notamment aux Etats-Unis et en Australie (et également en France), d’une augmentation très significative des requêtes. Mais ne nous y trompons pas : ce n’est pas de notre bon vieux bidet, maître de l’hygiène intime dans les années 1950, lorsqu’il équipait la quasi totalité des logements neufs français, qui suscite autant d’intérêt. Dans les pays anglo-saxon en effet, le mot « bidet » qualifie non pas l’objet que nous enfourchions autrefois, mais sa fonction, englobant les WC et – surtout – les abattants lavants, voire les douchettes hygiéniques, qu’elles soient fixes ou portables.
L’heure de la rédemption n’a donc pas sonné pour notre bidet à nous. Certes, en Italie, où la grande majorité des foyers en sont équipés, on ne s’en passerait pour rien au monde. Au Portugal, en Argentine…, dans une moindre mesure en Espagne, il résiste tout aussi bravement. Mais en France, il ne cesse de régresser (les ventes sont inférieures à 20 000 exemplaires en 2018), éjecté des salles de bains pour faire de la place au meuble-vasque, mais pas que : honni par les jeunes générations, il est entaché d’une sulfureuse réputation.
Le bidet, un symbole de mauvaise vie[1]
En vérité, le bidet, apparu en France vers 1710, était, avant même l’arrivée de l’eau courante, un meuble « pour filles, dans le sens où la société a toujours mis un point d’honneur à insister sur la nécessité de la propreté de l’entre-jambes des dames.[2] » Parce qu’il est associé à la toilette intime féminine, cet objet que l’on doit chevaucher évoque non seulement le sexe, mais la prostitution, les maisons closes, les lavements, la contraception, la nudité… Autant de tabous et de fantasmes finalement vaincus par la morale et la pudibonderie, mais aussi – ironie du sort –, par la démocratisation du papier toilette dès le début des années 1960.
Le WC lavant, un objet sans genre
Autant le bidet est inconvenant, autant le WC lavant est à l’abri de tout soupçon. Cet équipement « dégenré », donc neutre, sur lequel on ne s’assoit pas à califourchon mais comme sur un siège, est nettement plus recommandable dans l’inconscient collectif. Légitimé par l’électronique (et, de ce point de vue, masculinisé), il se veut le nouvel indispensable de l’hygiène, décent et technique, mais… très coûteux en Europe, où les fabricants ont fait le choix (à tort ?) du haut de gamme. Résultat : malgré une bonne dizaine d’années d’effort et de marketing, le marché reste de niche, évalué à moins de 5 000 pièces en 2018 par l’Afisb.
Quand l’écologie rencontre l’hygiène
Mais, on l’a vu, aussi « propre sur lui » soit-il, le WC lavant ne permet pas plus que le bidet ou la douchette hygiénique de se passer de papier toilette, dispendieux en arbres et en eau. Les défenseurs de l’environnement qui, dans ce cas précis, sont avant tout des femmes (les revoilà dans la partie !), partagent leurs astuces sur les réseaux sociaux. Elles sont prêtes à chasser le PQ des toilettes comme le coton de la salle de bains grâce aux mêmes disques lavables en tissu, lesquels, associés à l’une ou l’autre des solutions d’hygiène par l’eau, deviennent des mini et très efficaces serviettes de toilette faciles à glisser dans le lave-linge. Alors, WC ou abattant lavant, bidet ou douchette hygiénique, que décideront-elles ? Notons que les deux derniers produits cités ont l’avantage d’un prix abordable et de se passer de raccordement électrique. Deux atouts en France.
[1] Titre emprunté à Roger-Henri Guerrand et Julia Csergo, Le confident des dames, Editions La Découverte.
[2] Le bidet, l’objet caché, dossier réalisé par Paulo Jorge Dias, étudiant de la Filière Architecture d’intérieur 2018-2019, sous la direction de Roberto Zancan, HEAD Genève, Suisse.
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