Cécile Troquart est la directrice de la « connaissance client » du groupe Kingfisher. Tout un programme, dont l’objectif est de « nourrir » la création des gammes Kingfisher One, qui impliquent une autre manière de travailler.
« Auparavant, pour développer des produits et construire des gammes, nous nous reposions sur la connaissance des fabricants », raconte Cécile Troquart, directrice de la « connaissance client » du groupe. Avec le programme Kingfisher One, qui veut « penser global et réussir local », le distributeur a dû se forger son propre regard, et ne plus se contenter de la vision des industriels, prête à consommer. « Nous sommes repartis de zéro pour nous faire nos propres points de vue et acquérir des compétences sur les produits, afin de mieux les développer. »
Tout passe par la connaissance client. Plutôt que de s’appuyer sur des tables rondes avec les particuliers qui, à ces occasions, oublient les problèmes fonctionnels pour ne s’attacher qu’à la décoration, « nous les avons observés chez eux, nous avons étudié leur manière de vivre et d’utiliser les différents espaces de la maison. » Cécile Troquart et son équipe se sont intéressées aux besoins des clients des principaux pays européens, notamment dans la salle de bains, qui a été la première pièce de la maison abordée sous l’angle Kingfisher One.
En premier lieu, des chiffres ont été collectés : nombre de salles de bains par foyer – une seule dans les deux tiers des cas ! –, surfaces, configurations et équipements les plus courants, nombre de douches et/ou de baignoires, nombre de vasques… « Nous avons cherché à dresser un paysage européen, afin de déterminer les typologies les plus courantes et de prioriser le travail. » Kingfisher veut penser global, mais avec une bonne connaissance des spécificités locales. « Avant, on commençait par les différences, aujourd’hui par ce qui est commun. »
Il y a également eu des études qualitatives : les visites à domicile ont permis d’examiner 100 salles de bains dans 4 pays. Les placards ont été ouverts, des photos prises, des plans dessinés. Les particuliers ont eux-mêmes rempli des plannings d’utilisation, expliqué leurs usages, détaillé les dysfonctionnements… Des études d’ergonomie ont été conduites. Les objets entreposés – parfois jusqu’à 20 flacons de shampoing dans une seule salle de bains – ont été inventoriés. Il s’agissait de se rapprocher des pratiques, de mieux apprécier les problèmes.
Comprendre comment les gens vivent mais aussi comment ils rénovent. Des consommateurs en phase de projets ont été suivis, pour appréhender la manière dont ils s’y prennent, de l’état des lieux à la réalisation. Les suivis ont été effectués au jour le jour via internet, où les clients expliquaient ce qui se passait : les imprévus de chantier, le pourquoi et le comment de leurs changements d’avis, la manière dont ils se débrouillaient pour la mise en œuvre (avec un voisin, un père, un cousin…), à quel moment les artisans intervenaient, pourquoi les projets dérivaient en termes de délai et de budget… « On sait que, pour que les projets ne soient pas abandonnés, l’accompagnement doit commencer avant l’achat », dès la préparation et la planification. Le groupe y travaille.
Et ensuite ? « Nous avons exploré ces dimensions, mixé le quanti et le quali, puis travaillé avec les équipes chargées de développer les produits. » Celles-ci sont composées de membres de différents pays, avec de fortes expertises sur leur marché. D’abord comprendre les besoins communs, puis les confronter aux connaissances des acheteurs de chaque pays, pour que les équipes s’approprient ces données. Il fallait éviter de « passer du super local au super universel ». Enfin, les gammes ont été développées de manière à répondre aux différentes problématiques : offrir la possibilité de multiplier les rangements que les gens sous-estiment systématiquement, de créer des douches permettant de mieux occuper l’espace…
Un distributeur peut-il se passer des marques ? « Nous sommes sur un secteur où la présence des marques est peu importante ». Selon Cécile Troquart, pour la plupart des produits, les particuliers n’y sont pas attachés (meubles et receveurs de douche par exemple). Ils font confiance à l’enseigne, qui doit être crédible en termes de qualité. C’est moins vrai en ce qui concerne les équipements techniques, où des marques de premier plan s’imposent, même si l’enseigne les entoure d’alternatives moins chères et sur lesquelles elle essaye de monter le niveau de qualité. « Les clients connaissent le positionnement de l’enseigne, justifie Cécile Troquart. Ils savent ce qu’ils vont y trouver. »
Le pari n’est-il pas risqué ? « C’est un pari, oui. » Mais le travail se fait progressivement, sans dogme de globalisation. « On ne se contente pas d’un produit générique » : il y a des déclinaisons locales, des profondeurs de gammes différentes… « On ne stocke pas non plus les mêmes éléments selon les pays. » De plus, les présentations produits sont modifiées en fonction des habitudes identifiées. En Pologne et en Russie, les deux tiers des salles de bains accueillent le lave-linge. En France, les configurations de salles de bains avec toilettes sont plus nombreuses… Souvent, « les différences de gamme se sont avérées être des différences d’habitudes… ». A partir de maintenant, il y aura des changements permanents dans les magasins.