Alors que nombre d’acteurs de la filière prédisaient un échec, le groupe Kramer est en train de gagner son pari de faire (re)vivre l’usine historique de Jacob Delafon à Damparis, dans le Jura. Une réussite qui, selon Manuel Rodriguez, son président, est due à l’expertise des employés du site et à la confiance que lui ont accordée deux enseignes de la distribution professionnelle.
L’usine historique de Jacob Delafon tourne à nouveau. Sur ce site de 72 000 m² couverts, dont 20 % sont actuellement exploités, la Jurassienne de Céramique Française (groupe Kramer), qui a acquis l’outil de production en décembre 2021 (investissement : 5 millions d’euros, dont 1,8 million de subventions), aura fabriqué en 2023 près de 90 000 cuvettes, receveurs et vasques, dont l’essentiel pour les marques propres de Cédéo (Alterna) et Téréva (Aquance), deux enseignes qui se sont engagées dès l’origine du projet. L’entreprise prévoit un chiffre d’affaires de 6 millions d’euros cette année et anticipe 10 millions en 2024.
Le défi de relancer une production de céramique sanitaire en France
« Quand, en 1999, je me suis lancé dans la robinetterie, se souvient Manuel Rodriguez, il était trop tard : les usines et le savoir-faire français étaient déjà perdus. » Ce promoteur acharné du made in France, qui venait d’acquérir le Comptoir de la Robinetterie, devenu ensuite Kramer, s’est donc tourné vers la sous-traitance et l’Italie pour faire fabriquer des corps, manettes et autres composants, lesquels sont toujours assemblés à Etain, dans la Meuse. « Cette fois, je suis arrivé à temps : nous avons la chance d’avoir l’usine et le savoir-faire, qui n’a pas été transféré. » Mieux, peu de temps avant de stopper la production, Kohler continuait d’investir dans l’outil.
La réindustrialisation part des territoires
Sur les 151 salariés du groupe américain, 80 ont postulé après le rachat et 49 ont été tout de suite embauchés. Aujourd’hui, ils sont 58 à s’affairer sur le site. Des services de maintenance qui, avant le redémarrage, retardé par l’explosion du prix du gaz, ont travaillé à réduire sa consommation de 35 % (production et chauffage des locaux), aux équipes de développement ayant conçu les produits actuellement fabriqués en passant par les opérateurs sur les lignes de production. « On a des experts », se réjouit Manuel Rodriguez, qui n’a de cesse de mettre en avant le savoir-faire des équipes de l’usine. Ce sont elles qui, « aussi folles que moi », ont fait que l’improbable a eu lieu. Les salariés donc, ainsi que, en amont, les instances publiques locales, qui se sont battues – « la réindustrialisation part des territoires » – et, en aval, les clients de Kramer engagés dans une démarche RSE véritable (Responsabilité sociétale des entreprises).
Prochaine étape : rallumer le four tunnel de 80 mètres
Les 90 000 produits en céramique sanitaire fabriqués cette année par La Jurassienne de Céramique Française ont été cuits dans un four intermittent, comme le seront les quelque 150 000 pièces prévues en 2024. Quand ce seuil sera atteint, le four tunnel pourra être rallumé qui, fonctionnant 24 heures sur 24, nécessitera une organisation de l’usine en 3/8, mais permettra de réduire le coût de chaque pièce, ainsi que leur poids carbone. D’ici là, l’industriel doit gagner de nouveaux marchés et faire des volumes. Une cuvette WC économique – mais pas d’entrée de gamme : « ma concurrence n’est pas asiatique » – est en train d’être développée.
Les grandes enseignes du négoce ne sont pas les seules à s’intéresser à cette usine en mesure de produire des petites séries. « On ne soupçonnait pas l’intérêt des industriels pour le made in France. » Des contacts sont en cours avec différentes marques, qui ne sont pas toutes hexagonales. Dès 2024, les produits de celles du groupe, Horus et Kramer, apporteront leur pierre à cet édifice, qui est aussi un aboutissement. Car Manuel Rodriguez rêvait depuis longtemps « de mettre sur les rails un groupe industriel. » C’est bien une aventure humaine.
Photo d’ouverture : de gauche à droite, devant le four à cuisson intermittente, Rodolphe Gomis, directeur de l’usine, Manuel et Tristan Rodriguez, président et vice-président du groupe Kramer.