Comme à son ordinaire, le CES de Las Vegas a donné à voir ce qui justement ne l’est pas, du moins pas encore, livrant des pistes de réinvention des objets, de leur usage et de notre monde. Des tendances qui change(ro)nt le visage de la salle de bains dans laquelle l’intelligence artificielle est désormais capable d’interagir directement (ou presque) avec l’homme.
Bien que moderne et opérationnelle, la technologie du sans contact activé par détection du mouvement de la main devant une cellule infrarouge n’incarne plus l’avenir. Si la commande vocale dans la sphère privée se profilait déjà lors du Consumer Electronics Show 2022, cette innovation de rupture – du moins dans le sanitaire – dépasse cette année le registre de la robinetterie pour intégrer celui des toilettes : commercialisé dès le salon (à partir de 2 149 dollars), l’abattant lavant PureWash E930 de Kohler fonctionne en mode mains libres. Pour plus d’hygiène en supprimant un maximum de transmissions manuportées, ses principales fonctionnalités (lavage, séchage à l’air chaud, désinfection aux UV…) s’activent par le biais des assistants virtuels (Amazon Alexa, Google Home) dont le niveau de langage naturel a progressé grâce à l’IA générative. Qu’on se rassure, en cas de dysfonctionnement du wifi, de technophobie aiguë, d’illectronisme ou d’incompréhension passagère, le temps d’appréhender cette nouvelle manière de bien faire(-faire), un pilotage manuel demeure possible, ainsi que sur son smartphone via l’application Kohler Konnect.
Un progrès en matière d’inclusion
Mais sommes-nous prêts à énoncer à voix haute nos desiderata intimes à notre cuvette, au risque que nos requêtes les plus secrètes soient entendues au-delà des murs de ces lieux d’aisances qui nous mettent paradoxalement mal à l’aise ? Dès lors, si nous chuchotons, en-dessous de quels décibels l’IA fera-t-elle la sourde oreille ? Seuls face à la machine et à nos besoins (dans tous les sens du terme), cette verbalisation changera-t-elle le tabou des déjections et la gêne qui nourrissent le syndrome du poop-shaming ?
Pour être encore disruptive, la reconnaissance automatique de la parole n’est pourtant pas tout à fait une nouveauté dans cette pièce où la discrétion sonore est encore de mise. Elle fait notamment ses preuves depuis 2021 dans le cadre du projet d’aménagement urbanistique The Tokyo Toilet. Dans un WC public à l’architecture hémisphérique (design Kazoo Sato), tout l’équipement signé Toto (washlet, chasse d’eau, robinet, musique d’ambiance…) est conçu pour répondre à des ordres multilingues, dans une expérience interactive qui s’apparente à une conversation avec un chatbot. Il ne faut pas y voir une énième gadgétisation, mais une avancée. Car la dématérialisation des commandes simplifie le quotidien des personnes en situation de handicap, et notamment celles souffrant de déficiences motrices ou visuelles : en facilitant leur accessibilité numérique dans un monde de plus en plus technologique, ces outils de reconnaissance vocale améliorent tout simplement leur accessibilité physique. Et en conséquence l’inclusivité des toilettes publiques.
Jusqu’à faire corps avec la machine ?
A l’orée d’un futur dans lequel le geste se passera de la main, des prototypes dévoilés lors du CES 2024 ont franchi des caps encore plus avancés dans l’interaction homme-machine, utilisant les signaux subtils de notre corps pour ouvrir d’autres portes et perspectives, étonnantes… Pour l’heure, leurs applications ne concernent pas la salle de bains, qui est rarement la première servie, mais demain ? Avec le dispositif buccal proposé par la société Augmental, ce n’est plus la voix qui dicte sa loi, mais la langue. Un appareil en résine ultra fine intégrant un mini écran tactile calé sur le palais, celle-ci fait office de souris, permettant à cette MouthPad de contrôler un téléphone, un ordinateur… Proposant des écouteurs intra-auriculaires capables d’interférer avec le tissu nerveux (Naqi Neural) sans pour autant s’apparenter à un implant, l’entreprise Naqi Logix décrypte quant à elle le mouvement des muscles du visage, chacune de ces impulsions électriques traduisant en silence une pensée dans une approche quasi télépathique. Elle affirme avoir « même réussi à piloter un Boeing 737 dans un simulateur de vol » !
Le visage, nouveau miroir de l’âme
Puisque les expressions faciales sont un puissant moyen de communication non verbale, quoi de mieux qu’un miroir pour traduire nos états émotionnels ? L’idée est explorée notamment par la startup française Baracoda, spécialisée dans les objets de santé connectés implantés dans la salle de bains. Baptisé BMind, le miroir d’un genre inédit qu’elle a présenté à Las Vegas interprète à l’aide d’une IA la moindre des mimiques de l’utilisateur pour évaluer son état mental (prix de l’innovation 2024 du CES dans la catégorie Smart Home, la dixième récompense de Baracoda en huit participations). Pour son bien-être et son développement personnel, des conseils et activités anti-stress s’affichent alors à l’écran, qui vont de la méditation guidée à la luminothérapie, en passant par la projection de sons ou d’images de nature à booster sa bonne humeur. Désormais, l’on ne questionne donc plus seulement son miroir pour savoir si l’on est le plus beau, mais si l’on se porte au mieux au plus profond de soi, moral inclus.
Cette mise à nu des sentiments est également le crédo d’une autre pépite de la deeptech française qui a dévoilé au CES Las Vegas 2024 sa technologie d’IA émotionnelle. Invitant ses clients (banque, assurance, luxe, sport…) à « recentre[r] l’humain au cœur de [leur] business », Ontbo ne mesure pas seulement les états émotionnels à l’aide capteurs (sonores, faciaux, audio, textuels) et de bio-signaux (électroencéphalogramme, électrocardiogramme…). Elle établit en parallèle un profil complet de l’utilisateur, qui définit sa « psyché numérique ». Codées, ces informations constituent alors un outil prédictif des réactions émotionnelles et cognitives d’un individu…, permettant aux entreprises de proposer à leurs prospects des expériences hyper personnalisées. Dotée du pouvoir de lire en nous, l’IA nous rend pour ainsi dire transparents, nous faisant virtuellement passer de l’autre côté du miroir…
Illustration : istockphoto.com, ArtemisDiana.