Pour son édition de 2023, la quarantième, le Cersaie a mis en avant les salles de bains d’hier, remontant le temps au fil d’une exposition – Route 40 – qui présentait des collections ayant marqué le salon de Bologne depuis sa création. Par leur visée patrimoniale, ces archives témoignent de l’incessante créativité des designers et de l’innovation portée par les marques, notamment italiennes, du secteur.
Suivant l’itinéraire de la Route 40 menant d’un pavillon à l’autre, les visiteurs du Salon international de la céramique, des ameublements pour salles de bains, de l’architecture et du design ont ainsi pu (re)découvrir les produits d’exception qui ont construit la réputation du salon, où ils ont été vus, et même lancés pour certains.
1983-1992 : la première des quatre décennies à bénéficier de ce salutaire travail de mémoire a distingué des objets devenus pour certains iconiques, preuve de leur longévité sur le marché. Par le biais de panneaux et de vidéos, cette installation a aussi révélé d’autres concepts, que les effets de mode ont parfois relégué loin de l’actualité, mais qui demeurent toujours dignes d’intérêt. Découvertes ou réminiscences, voici un florilège en image des « madeleines » du bain du Cersaie.
1983 : I Balochi (Fantini), Zetamix 6000 (Zucchetti), La Secchia Rapita (Agape) et Cucciolo (Gedy)
Née sous le crayon de Paolo Pedrizzetti et de Davide Mercatali, la très ludique collection de robinetterie I Balocchi (les ballons, en italien) est incontestablement un marqueur fort dans l’ADN de Fantini. En apportant de la couleur au robinet qui faisait jusqu’alors figure d’élément purement technique, sans grand effort de recherche stylistique, elle a contribué à révolutionner la salle de bains, plus seulement fonctionnelle, mais appelée à devenir un nouveau territoire d’expression.
Avec son nom un rien futuriste, Zetamix 6000 de Zucchetti suit ce credo tout en portant haut la maxime (empruntée à l’architecte Louis Sullivan) du Studio Nizzoli et de Mario Olivieri, son créateur : Form follow fonction (la forme exprime l’usage). Ses lignes tendues et élancées créent un mouvement dynamique, et ses volumes sculpturaux, chromés, incarnent le courant fonctionnaliste dans la salle de bains.
Pour Agape, Giampaolo Benedini a imaginé un point d’eau suspendu minimaliste : La Secchia Rapita (Agape), décliné en deux versions, l’une tout acier inox, l’autre associant sa structure métallique avec un lavabo en céramique.
Dans le registre des accessoires de toilettes, la brosse en thermoplastique Cucciolo (lancée en 1974 et dessinée par le japonais Makio Hasuike) symbolise les années pop. Toujours au catalogue, l’objet tout en rondeur a depuis longtemps intégré les prestigieuses collections de design du Moma de New York !
1984 : Acquarius et Quadra (Teuco), Le Ore Colorate (Vismara)
Déclinée dans une palette tout sauf neutre (avec ce noir, mais aussi un rouge flamboyant), la baignoire hydromassante Acquarius de Teuco raconte les très riches heures de la balnéo, avec écran de contrôle à large touches, buses contrastantes…, le tout dans une cuve à l’arrondi spectaculaire. Pour l’alimenter en eau (ou garnir le point d’eau), Keuco proposait un mitigeur thermostatique coordonné (réglage sur la manette de droite), avec affichage lumineux de la température sur le dessus du bec !
Conçue et développée en interne par les équipes techniques du spécialiste de la paroi de douche Vismara, la cabine Le Ore Colorate affiche la couleur sur l’ensemble des profilés et se fait remarquer dans la salle de bains, comme avec ce bleu électrique, tendance phare du milieu des années 1980.
1985 : Coriandoli (Zucchetti) et Zagara (Ceramica Dolomite)
Chez Zucchetti, les manettes de la série Coriandoli (confetti, en italien), en métal chromé sur tête colorée, façon mine marine, font forte impression tout en assurant une solide préhension (design Raul Barbieri et Giorgio Marianelli).
La collection Zagara (fleur d’oranger, en italien) de Ceramica Dolomite ne manque pas de piquant non plus avec ses volumes travaillés à l’oblique qui se projettent vers l’avant ou encore la découpe asymétrique du plan de dépose ménagé autour de la cuve du lavabo… Signée Marco Zanuso, cette vision hyper architecturée de la salle de bains (bidet, cuvette, lavabo…) fut longtemps l’étendard design de la marque (qui faisait en 2023 son grand retour sur le Cersaie).
1986 : Euclide (Rapsel) et Arcade (Simas)
Cette année-là, deux visions radicalement opposées illustrent l’étendue des possibilités sur le plan stylistique. D’un côté, une conception des plus contemporaines, avec Rapsel qui lance Euclide, un sculptural lavabo totem en acier poli, qui préfigure déjà les formes des années 1990. Avec son look géométrisant, celui-ci ose la combinaison, rigoureuse, d’une cuve conique étonnamment profonde et d’un pied circulaire, nettement plus fin (design Fin Skodt).
De l’autre, une revisite des années 1900 par Simas, avec la collection Arcade, caractérisée par une série de moulures qui rythment la surface de la céramique, dans une approche résolument rétro : indémodable.
1987 : Top (Teorema)
Baptisé Top, et malicieusement présenté par la firme Teorema comme « poi schizzo » (qui peut se traduire par « alors je dessine »), ce robinet est l’œuvre anticonformiste du designer Enio Mori. Détentrice de plusieurs brevets, cette atypique création déporte toutes les commandes, chromées, d’un seul côté, pour un réglage avec une main au lieu de deux. Le bec en col de cygne présente une tubulure plate, qui s’évase pour se terminer en cloche. Le mix de la couleur (bec, base, boutons) et des parties rutilantes (embout du mousseur, tablettes, manettes) est aussi détonnant que son mode de fonctionnement !
1988 : Class (Ideal Standard) et Metro (Flaminia)
Le profil aérodynamique est la clé du succès du mitigeur Class d’Ideal Standard. Le Moma de New York conserve un exemplaire de ce jalon du design transalpin. Il a été pensé par le designer milanais Mario Bellini, qui estime que « les surfaces douces et gracieuses de ces accessoires de salle de bains évoquent la sensation de l’eau qui coule dans un design où forme et fonction sont des concepts. »
Une maxime que partage – mais traduit différemment – Flaminia avec la collection Metro. Sur un lavabo colonne en céramique dont les rondeurs rappellent celles d’une bouée, une barre en métal, circulaire, fait un rappel discret de la finition de la robinetterie, tout en assurant efficacement le port des serviettes.
1989 : Alia (Globo)
Etre un point d’eau à usage transverse, voilà la mission confiée par Globo à ce monumental lavabo en céramique. Nommé Alia, il est conçu pour s’adapter aussi bien à la cuisine qu’à la salle de bains. Sa crédence, déployée dans une ample remontée arrière, empêche toute projection d’eau et supporte également la robinetterie qui, encastrée, surplombe une cuve généreuse dont la forme empreinte tout autant au timbre d’office qu’aux auges d’école. Non seulement l’entretien est facilité, mais l’espace est dégagé pour la toilette !
1991 : Bagnella (Duravit) et Coupe de Foudre (Rapsel)
Si la collection Efi de Flaminia choisie par le Cersaie pour illustrer l’année 1990 ne nous semble pas réellement sortir du lot (et mériter une description), l’édition suivante a pour ambassadeurs deux collections parfaitement datées. Et identifiables comme telles. En association avec Sieger Design, Duravit fait alors le buzz (et des affaires) avec Bagnella, collection incluant diverses variations d’un même point d’eau, selon la typologie de colonne (fuselée, conique, ronde, à piètement carré ou en chapiteau inversé…), choisie par le client pour supporter une unique vasque, la robinetterie étant placée en arrière, dans la jonction avec le mur.
Faisant la part belle à la transparence du verre, Coupe de Foudre de Rapsel associe une vasque soufflée à Murano à une structure supportant un miroir qui tend à l’invisibilité… pour mieux se faire remarquer.
1992 : La Villette et Dreamscape (Duravit), Tara (Dornbracht)
Après le succès de Bagnella, Duravit renouvelle sa confiance à Sieger Design, qui se démarque à nouveau avec la collection La Villette, dont le lavabo étonne, le renflement de sa cuve émergeant d’un plan structuré taillé en pointe d’un côté. D’inspiration « déconstructiviste », ce point d’eau combine plusieurs formes géométriques (rectangle, carré, rond, triangle), couleurs et matières (bois précieux, laque, céramique…).
Avec son emblématique vasque ovoïde, la collection Dreamscape, également lancée par Duravit, entend faire littéralement de la salle de bains un « paysage de rêve », brossé cette fois par Michael Graves. Là encore, la rondeur de la cuve, à bords très épais, tranche avec quatre pilotis de section carrée qui la soutiennent, avec ou sans unité meublante à façade vert d’eau : un must pour l’époque.
Enfin, la robinetterie Tara voit le jour chez Dornbracht, qui deviendra vite – et durablement – une icône de la salle de bains, avec ses poignées à croisillons. Une création Sieger Design, encore !
Photos : © fabricants et Wikimedia Commons.