Sur fond de cuivre ou d’argent, le carrelage miroite et se « pique » de vils métaux. Au Cersaie 2018, la tendance était aux surfaces étonnamment étamées, éclairant la salle de bains de nouveaux halos dont les tonalités plombées ou roussies se réfèrent à l’étamage bleuté d’une glace au mercure ou à l’oxydation d’une surface corrodée.
Parmi les revêtements carrelés dévoilés en septembre 2018 sur le salon Cersaie, deux atmosphères colorées ont particulièrement la cote dans le registre de la tendance métallisée.
D’un côté, des variations assez chaudes, dont les gammes flammées de brun-rouge font référence aux taches roussâtres dues à l’humidité qui apparaissent avec le temps sur certains matériaux, minéraux ou ferreux (photo de droite : Peronda, collection Brass).
De l’autre, des nuances grisées plus froides qui renvoient non pas à un état de corrosion naturelle mais à un traitement particulier, résultant cette fois d’une méthode, d’un savoir-faire ancien. Pictées de bleu cobalt et d’éclairs argentés, ces tonalités autrement originales – encore peu vues mais plusieurs fois remarquées dans les allées du salon de Bologne – font écho aux amalgames délétères de mercure et d’étain mis en œuvre dans les techniques de fabrication des miroirs qui étaient en usage du XVe au XVIIe siècle (photo de gauche : Vetrite, collection Gem-Glass).
Le verre mercurisé
La maîtrise des procédés hautement toxiques d’argenture des glaces fut longtemps l’apanage des miroitiers de Venise. Rappelons que ceux-ci étaient strictement consignés sur l’île de Murano afin de circonscrire toute « fuite » et préserver ce monopole de la concurrence tout autant que la Sérénissime du risque d’incendie en raison de l’activité des forges… Une juteuse position d’exclusivité maintenue par la Cité des Doges jusqu’à ce que la Manufacture royale de glaces de miroirs ne parvienne, sous le règne de Louis XIV, à percer ces secrets de fabrication si jalousement gardés. Fondée en 1665 par Colbert, cette fabrique régalienne à l’origine de l’entreprise Saint-Gobain s’est d’abord distinguée par l’invention du coulage à plat qui a notamment permis la fabrication des 357 miroirs au mercure constituant au château de Versailles la Grande Galerie dite « des Glaces », symbole architectural du pouvoir du Roi-Soleil, monarque absolu.
Utilisés pour la toilette ou comme élément de décoration, les miroirs furent de fait longtemps considérés comme des objets de grand luxe, réservés à des personnages de haut rang. Leur démocratisation (relativement rapide) n’a commencé qu’à la découverte, en 1835, d’un procédé non nocif et moins coûteux, in fine adapté à une production en masse. L’argenture mise au point par le baron Justus Von Liebig permet alors d’exploiter les qualités réflexives obtenues par le dépôt d’une mince couche d’argent métallique sur le verre grâce à la réduction chimique du nitrate d’argent. De nos jours, l’industrie utilise l’aluminium par dépôt électrolytique sur une couche de cuivre ou de plomb (le tain du miroir assurant son opacité) ou dépôt sous vide (par PVD Physical Vapor Deposition ou CVD Chemical Vapor Deposition).
D’un point de vue esthétique, cette tendance inédite inspirée par les miroirs anciens en « verre mercurisé » s’illustre par des carreaux singuliers. Servis par des camaïeux « infinis » de carbone, de cobalt et d’acier poli, ces revêtements recréent l’illusion optique d’une profondeur dans le prisme de la matière (Gem Glass, Boulder Chrome de Vetrite, chez Sicis), comme par succession de couches révélées par une (al)chimie de couleurs (Magneto Rust de Fiandre, photo de droite ; Marea Iron de De Castelli ; Millenium Latto de Pecchioli), de strates visuelles où l’on devine des éclats vifs en son cœur ou des nappages de métal poli en surface (Flora, Clover Black Ground/Mix Blue Spring de Devon&Devon ; Mosaïque Lumière de Naxos, photo de droite ; Tuscany de Fuoriformato)…
Le métal oxydé
Si la recherche des effets métallisés « vert de gris » dans les revêtements de sol ou muraux s’est considérablement développée dans le sillon du style industriel, en grâce depuis plusieurs années y compris dans la salle de bains, les dernières déclinaisons en renouvellent le genre. Ce n’est plus une « glaçure » globale et uniforme du carreau qui est proposée, ni un rendu caricaturant l’esprit loft avec par exemple des motifs assez anecdotiques de rivets rouillés mais des textures nuancées.
A l’intensément brillant chargé en particules pailletées en vogue dans la précédente décennie, succèdent actuellement des jeux de matières en léger relief combinés à des reflets oxydés. Coloré dans la masse, le grès cérame imite un processus naturel pour mieux révéler la dimension ornementale du métal (qui peut lui-même composer les revêtements, par panneaux complets ou petites inclusions) (Marea Brass/Marea Copper et la mosaïque Glow de De Castelli).
Ces traces du temps qui passe ne scintillent plus mais se révèlent subtilement selon la lumière, en relaient et diffusent même la « chaleur » intrinsèque (Oxidart Copper de Sant’Agostino). Les nouvelles collections présentent une patine brun-rouge qui, semblant résulter d’une altération authentique sous l’effet de l’eau, révèlent une beauté brute (Expression – Grunge Oxidium Lappato de Aparici ; Met Arch de Sintesi). Des déclinaisons plus pastel existent aussi, avec des dégradés de vert-bronze associés à du beige clair, à des nuances de béton coffré (Met-All, Sage + Pearl de Supergres) ou plus laiteuses (Grass de Peronda), voire diffuses à la manière d’une aquarelle (Oxidart Iron de Sant’Agostino, photo ci-dessus).
Grâce à la combinaison de différents formats, mosaïques et décors, le matériau devient une trame décorative à part entière, rythmée d’aspérités, martelée de taches (Alchemy Bronze de Apavisa) ou de formes géométriques roussâtres et plus ou moins incandescentes et colorées (Costruire de Serenissima ; Lumiere de Naxos) ou sombres (Alchemy-7.0 d’Apavisa), en accord avec les finitions cuivre et autres dark platinium qui magnifient la robinetterie (Metallic, Carbon de Love Ceramic Tiles). Chez ABK (catalogue Bath Design), à noter que les grands formats servent aussi à agencer la salle de bains, du revêtement au plan de toilette en passant par les murs de la douche et le receveur. Photo ci-contre, Marea Copper de De Castelli.