Faussaires de génie, carrelages et papiers peints donnent dans le pastiche, empruntant effets de styles et manières à différents mouvements esthétiques. Une tendance qui interroge la frontière entre l’art et l’artisanat, l’agrément et la fonctionnalité.
Les « tableaux » exposés sur le Cersaie 2021 font plus que jamais du salon le rendez-vous officiel de la création pour ce qu’il conviendrait donc d’appeler l’académie du revêtement. Une marque, exclusive, donne toute sa dimension à ce phénomène qui invite littéralement à voir ses murs en peinture : FuoriFormato du groupe Target, qui se revendique d’ailleurs comme l’« Atelier of ceramics ». Les collections pittoresques qu’elle propose sont une bonne introduction au sujet, ses grandes plaques (120 x 280 cm) restituant le geste de l’artiste, comme en témoigne en particulier l’inédite série Ares, avec sa géométrie parcourue de rainures qui sont la marque des coups de spatules réalisés manuellement sur la surface du carreau avant une troisième cuisson, principe que l’on retrouve avec le décor Shapes (60 x 120 cm) de Art by Sichenia (en photo, ci-dessous).
La quête du geste
Grâce à l’impression digitale notamment, l’industrie céramique mécanise ce même geste, défiant des techniques dont le rendu était, il n’y a pas si longtemps encore, l’apanage de la seule main de l’homme. Une trace de l’outil qui évoque aussi celui du peigne utilisé pour encoller l’arrière du carreau, ce transfert d’une face à l’autre remettant, de notre point de vue, l’artisan-poseur sur le devant de la scène. Parmi de nombreux exemples, nous avons pu voir ces effets chez Ape (collection Downtown, décor Gleam Coal, 11,5 x 11,5 cm) en association avec du grès craquelé. Ou avec le décor Green chez Apavisa (collection Hutton, 60 x 60 cm, en photo ci-contre), présenté dans un cadre en bois brut qui soulignait le contraste entre la texture vernissée et les nuances mates du fond, en terre cuite claire parsemée d’éclats microscopiques de mica.
Le pouvoir de singulariser le décor
S’il n’a plus à faire la démonstration de son pouvoir décoratif, le revêtement se rêverait désormais en objet d’art, affirmant son rôle d’élément distinctif, capable de marquer le décor et de le rendre unique, ce qui est en théorie le propre d’une œuvre.
L’artiste, qui a le privilège d’apposer sa signature, contrairement à l’artisan dont le travail demeure anonyme, est celui qui permet de séparer la production lambda de l’œuvre, par définition unique. Le développement des collections de carrelage (mais aussi de papier peint, à l’image des collaborations tous azimuts de Styl’Editions) signées par des grands noms du design s’appuie sans doute sur cette prérogative pour prendre le contre-pied des productions courantes, assimilées à du no name.
Ainsi, la collection Brush (23,25 x 23,25 cm, en photo ci-dessus, en bas, à droite) exposée sur le Cersaie 2021 par Decoratori Bassanesi porte, selon les termes du catalogue, « la ligne décisive de Paola Navone », c’est-à-dire la main et l’esprit de la créatrice. Le carreau est ainsi comparé à une toile de maître portant « l’expérience matérielle » de son coup de pinceau unique, quoique reproduit en série et « réduit » à un simple motif.
La revanche des arts mécaniques
Autrefois, le statut de l’artisan et de l’artiste se confondaient, les grecs les désignant tous deux par le terme tekhnitès. La maîtrise de la technique primait alors sur l’idée, ce que confirme l’étymologie du mot art, qui découle du latin ars, artis recouvrant à la fois le talent, l’habileté, le métier et la connaissance technique. Le Larousse explique que « durant l’Antiquité et au Moyen Âge, seuls sont dignes de constituer les arts le langage et les productions de l’esprit. Les arts libéraux, activités intellectuelles libres des contraintes liées à la matière, s’opposent ainsi aux arts mécaniques où interviennent la main et le matériau. Cependant, tout en considérant les métiers comme inférieurs, on doit également reconnaître alors qu’il y a un art, c’est-à-dire un ensemble de moyens tendant à une fin déterminée, pour les exercer au mieux. »
Aux origines de la peinture, sur enduit de mortier frais
Pas étonnant donc que le revêtement s’intéresse à la fresque, qui ramène à une époque où le mur est encore peu concurrencé par des peintures mobiles (sur panneau, puis sur toile) et le peintre, auteur habile de travaux attachés durablement au bâtiment, considéré, indifféremment, comme un artiste-artisan. Le monde romain, et plus précisément les fresques de style pompéien, sont ainsi le sujet de grands formats du groupe Target (collection Hand Painted, décor Villa Pompei, 100 x 300 cm), qui propose une reprise inspirée du célèbre site archéologique par une « parfaite combinaison technique d’interventions manuelles, picturales et numériques ». Il est suivi dans cette voie par Gardenia Orchidea (collection Gioia, décor Pompei, 60 x 120 cm) qui « transforme les murs de la maison en surfaces uniques qui servent de décors scéniques à admirer comme des œuvres d’art » ou encore par Naxos, avec la bien nommée collection Pictura (décors Fascia Villae Mix et Fascia Insula Mix, 60 x 120 cm) ou le papier peint Pompeianus de London Art (photo insérée dans le paragraphe précédent).
Nous en mettre plein la voûte
Bien qu’il représente le degré zéro de la création lorsqu’elle rime avec imitation et répétition, le motif le plus simple peut suffire à livrer une « interprétation évocatrice et éclectique de l’histoire et de la beauté des fresques murales, un héritage intrinsèquement lié à la culture italienne », selon Refin. Pour sa nouvelle collection Affrescati (fresque, en italien), la marque du groupe Concorde a imaginé un ciel parsemé d’étoiles dans un fond nuancé de bleu azur, sur lequel on devine le passage de la truelle. S’affranchissant des usages classiques pour ce décor qui orne les chapelles d’église depuis la nuit des temps, ces astres dorés sont proposés pour le mur mais également le sol (décor Giotto, 102 x 120 cm et 60 x 120 cm), contrairement au décor Céleste du papier peint WallPepper, qui nous en met plein la voûte.
Le début des Temps modernes
En Occident, ce n’est qu’à compter de la Renaissance que s’opère réellement le distinguo entre l’artiste et l’artisan, lorsque celui-ci se met au service de commanditaires puissants. A la fois moment charnière de l’histoire et courant artistique, la Renaissance a inspiré Valsecchia avec le décor Geo Mix Florence (20 x 20 cm), dont les carreaux semblent reproduire des morceaux de tableaux assemblés de manière aléatoire. Dans une palette d’ocres et de bleu gris sur fond noir typique du clair-obscur, le vernis, usé en surface, se fissure, ces craquelures permettant un énième rapprochement avec celles de la céramique, qui vont jusqu’à se confondre chez Rako (collection Betonico, 40 x 120 cm, 30 x 60 cm). Réputé iconoclaste, le studio Gum Design a quant à lui osé une « représentation fragmentée du sacré », bousculant les codes de la traditionnelle Vierge à l’Enfant à l’occasion de l’une de ses collaborations avec la marque de papier peint Styl’Editions (photos insérées dans le paragraphe précédent).
De la technique à l’idée…
Dans chacun de ces revêtements, l’intention prime sur la notion de reproduction, rappelant que selon le Larousse, « certains de ces métiers [en référence à l’artisanat], où la spéculation intellectuelle a sa part, forment à partir du XVIIIe siècle le groupe des beaux-arts : architecture, sculpture, peinture, gravure, auxquels on joint musique et chorégraphie. » De sorte, ce n’est plus le seulement savoir-faire qui est valorisé, mais l’idée, le concept ou encore le ressenti qui ajoute du fond à la forme, qui ne prend pas seulement celle de la peinture et de la fresque, mais aussi de l’esquisse, de la gravure…, le revêtement explorant tous les genres comme nous avons pu le constater sur le salon.
… et de l’idée au ressenti
Comme pour l’art, en s’éloignant du motif, le carrelage fait place à l’émotion, qui sollicitant les sens, sied particulièrement à la salle de bains, refuge hédoniste. D’eau encore il est question avec les rendus aquarellés qui sont légion dans les collections, dans une approche quasi impressionniste. Chez Naxos (collection Chromatica), nous retiendrons le vaporeux décor Mimosa Slabs, chez Cotto d’Este l’émouvante vue de la Cité des Eaux (collection Kerlite, décor Venice, 100 x 300 cm) ou encore les pins parasols de Pluvia chez Styl’Editions et les palmiers de Miraggi chez Wall&déco, deux motifs sur papier peint entourés d’un flou résolument artistique (en photo, ci-dessus).
L’école du Beau
Au gré de citations plus ou moins directes de l’histoire des arts, le reste n’est qu’affaire de références, qui échappent à certains et parlent à d’autres. Si les traces des peignes à encoller observés préalablement sont, peut-être, à mettre en parallèle avec la peinture d’Hans Hartung, figure majeure de l’abstraction au XXe siècle, elles illustrent surtout la liberté d’expression dont fait montre le revêtement. Celui-ci copie ou détourne, sans jamais se borner à une technique ou à un genre, quitte à les mixer comme avec cette projection de gouttelettes de peinture à la Jackson Pollock servant de prétexte à digresser sur l’iconique terrazzo (Gardenia Orchidea, collection Gioia, décor Gocce, 60 x 120 cm. Qu’importe alors que le décor sur porcelaine Zoe de 41zero42 (collection Paper41, 50 x 100 cm) et le papier peint Kamini de Glamora (photo d’ouverture) puissent évoquer à des degrés divers l’œuvre de Miro si le consommateur les trouve beaux (photos ci-dessus).
Illustrations : les mosaïques de photos sont, sauf mention contraire, présentées dans l’ordre du texte, et se lisent de gauche à droite et de haut en bas.